Sukuk Sogepa : un emprunt de 114, 4 milliards de Fcfa non reversé au Trésor ; l’Etat vend à l’Etat (Sogepa) ses biens pour 198 092 000 000 Fcfa puis devient son locataire.
La Cour a aussi fait une autre révélation. Pour rappel, la Société nationale de gestion et d’exploi‐ tation du patrimoine bâti (Sogepa) est créée par loi n°2021‐36 du 22 novembre 2021. La Sogepa a procédé le 21 avril 2022 à la mobilisation d’un emprunt obligataire sous forme de Sukuk d’un montant de 330 mil‐ liards de Fcfa. Pour réaliser cette opération, l’Etat a procédé à la vente de certains de ses immeubles bâtis à la So‐ gepa, par décret n°2022‐163 du 03 février 2022 portant cession à titre onéreux au profit de la Société, dans le cadre du développement du Sukuk, de divers immeubles bâtis appartenant à l’Etat. Il convient de rappeler que l’article 4 de la loi n°2021‐36 du 22 novembre 2021 autorisant la création de la Sogepa, per‐ met le transfert par l’Etat à la Sogepa, par cession à titre gra‐ tuit ou onéreux, ou par tout autre mode, des droits et immeubles nécessaires à la réalisa‐ tion de son objet social. Les biens (dont le building administratif) sont vendus pour une valeur de 198 092 000 000 Fcfa sur la base d’un rapport d’évalua‐ tion et après avis favorable de la Commission de contrôle des opérations domaniales (Ccod), après consultation à domicile. D’après la Cour, ces biens vendus à Sogepa ont permis via un fonds commun de titrisation de mobiliser l’emprunt. Ils sont ensuite mis en location à l’Etat du Sénégal qui paie des loyers servant de rendement aux investisseurs. A la fin de la maturité, l’actif est racheté pour permettre le remboursement intégral du capital.
Des anomalies sont relevées sur cette opération. Un virement d’un montant de 247,33 mil‐ liards de Fcfa est effectué par la Bis au profit du compte n° SN079.01101.251143401001.67 ouvert au nom de « Etat du Sé‐ négal/Relance de l’économie». Selon la banque, il n’existe pas de dossier d’ouverture du compte ; les ordres de vire‐ ments présentés par la banque sont signés par le directeur gé‐ néral du Budget. Positionné le 11 mai 2022, le produit est entière‐ ment exécuté en dehors des procédures budgétaires et comptables. Pourtant, l’Etat a pris le décret d’avance n°2022‐ 1950 du 07 novembre 2022 pour constater le produit et ouvrir des crédits d’égal montant pour des ressources exécutées en dehors de la loi de finances. Le Trésor public n’a reçu que 90 milliards de Fcfa par virements successifs faits le 16 mai 2022 pour 30 milliards de Fcfa, le 19 mai 2022 pour 40 milliards de Fcfa et le 14 juin 2022 pour 20 milliards de Fcfa. Ainsi, le reli‐ quat de 157 338 615 804 Fcfa n’est pas reversé au Trésor pu‐ blic. Le ministre des Finances et du Budget précise que la situa‐ tion du Sukuk de 247,3 milliards de Fcfa se présenté ainsi qu’il suit : 132,9 milliards de Fcfa ef‐ fectivement encaissés par le
Trésor dont 90 milliards de Fcfa après l’émission, 13,2 milliards reçus via le crédit relais rem‐ boursé à Ecobank et 29,774 mil‐ liards de Fcfa (sur le montant de 31 milliards) mobilisés pour le remboursement d’un crédit re‐ lais de la Bis contracté en 2021 ; 114,4 milliards de Fcfa du pro‐ duit du Sukuk exécutés hors des comptes bancaires du Tré‐ sor.
Par nature d’opération, la dé‐ composition du montant de l’émission est résumée ainsi : opérations de trésorerie pour 58,3 milliards dont 29,774 mil‐ liards de Fcfa encaissés par le Trésor ; opérations budgétaires pour 189,034 milliards de Fcfa dont 103,15 milliards de Fcfa encaissés par le Trésor. Le ministre conclut en indiquant que le montant exécuté en dehors du circuit Trésor est de 114,4 mil‐ liards de Fcfa dont une partie (28,52 milliards de Fcfa) est une opération de trésorerie. Toute‐ fois, la Cour constate que les justificatifs relatifs à cette opé‐ ration de trésorerie ne sont pas produits. En définitive, la Cour considère comme gap de tréso‐ rerie affectant le déficit le mon‐ tant de 114,4 milliards de F cfa non reversé au Trésor.
Le rapport sur la situation des finances publiques fait état d’une dette garantie d’un montant de 535 milliards de Fcfa. Ce montant est différent de celui communiqué à la Cour par le Ministère de l’Economie, du Plan et de la Coopération (Mepc) et le Ministère des Fi‐ nances et du Budget (Mfb). Les conventions de garantie signées par le ministre de l’Economie, du Plan et de la Coopération d’un montant de 1 645,61 milliards de Fcfa concer‐ nent des projets phares notamment dans le secteur de l’énergie.
La situation des garanties transmise par le ministre des Finances et du Budget et accordées par décrets, conventions et autres actes tourne autour d’un montant de de 619,84 milliards de Fcfa.
Le rapport du gouvernement établi sur la base des déclara‐ tions des banques fait ressortir au titre des crédits directs à l’Etat central un encours au 31 mars 2024 de 2 044,01 milliards de Fcfa et des certificats nomi‐ natifs d’obligations (cno) de 190,05 milliards de Fcfa, soit un total de 2 234,06 milliards de Fcfa. Il faut préciser qu’en rai‐ son de l’absence de suivi de ces crédits par le ministère des Finances et du Budget et du caractère non exhaustif des informations transmises par les banques, il est difficile de déter‐ miner avec exactitude l’encours de la dette bancaire. Sous réserve de la complétude des données, l’exploitation des documents bancaires a permis à la Cour de constater un encours global de la dette bancaire de 2 517,14 milliards de Fcfa au 31 mars 2024. Cet encours est reconstitué à partir des tableaux d’amortissement fournis par les banques et sur la base des conventions de crédit et des re‐ levés bancaires.
Les situations qui résultent de ces travaux sont transmises aux banques pour confirmation. Pour éviter tout cumul, la Cour a procédé ensuite à une consolidation des données tenant compte ainsi des crédits syndiqués, des re‐ profilages et des refinancements. La même attention est portée sur les crédits directs qui ne doivent pas être cumulés avec les cno adossés aux conventions de crédits et les substitutions de débiteurs. L’encours global de la dette bancaire est constitué essentiellement de crédits directs pour un montant de 1 961,07 milliards de Fcfa, soit 77,91%. Selon les conventions signées, l’octroi des crédits directs à l’Etat a es‐ sentiellement pour objet le fi‐ nancement de projets ou la couverture de besoins de trésorerie. Ces crédits ont des maturités différentes. Les crédits à moyen et long terme représen‐ tent 74,6% des crédits directs. Ces crédits sont souvent adossés à des lettres de confort ou d’attestations de couverture budgétaire signées par les ministres chargés des finances qui s’engagent inscrire dans les pro‐ chaines lois de finances, les crédits nécessaires pour honorer les échéances de ces prêts. Selon les documents transmis à la Cour, l’Etat du Sénégal a procédé durant la période sous revue, à l’émission de certificats nominatifs d’obligations (cno) évalués à 546,70 milliards de Fcfa et des intérêts de 58,99 milliards de Fcfa. Ce montant inclut les cno émis au nom de per‐ sonnes morales et qui ne sont pas adossés à des obligations résultant de conventions de crédit bancaire.
121,61 milliards de Fcfa aux courtiers militaires la famille Peretz à la veille des élections pour la fourniture de «divers biens et services non précisés » Ainsi, 12 Cno ont été émis le 20 mars 2024 d’un montant total de 121,61 milliards de Fcfa dont des intérêts de 18,62 milliards de Fcfa, au profit de Ad Con Ltd et Ad Trade Belgium Bv pour la fourniture de divers biens et services non précisés. Libéra‐ tion est en mesure de révéler que ces deux sociétés appar‐ tiennent à la famille Peretz spé‐ cialisée dans la vente d’armements.
100,29 milliards à Sofico de Tahirou Sarr, la Cour émet des doutes
9 cno d’un montant total de 100,29 milliards de Fcfa ont été aussi émis le 08 septembre 2023 (20 milliards de Fcfa), le 28 décembre 2023 (45,10 milliards de Fcfa) et le 28 février 2024 (35,19 milliards de Fcfa) au profit d’une banque et ayant respectivement pour objet le paiement de la dette de l’Etat du Sénégal à l’égard de Sofico résultant de diverses transactions, le règlement des échéances de crédits juin à décembre 2023 et de la facture relative au marché de fourniture d’équipement de sécurité et de matériel technique au profit du ministère de l’Environnement et la titrisation de diverses créances.
«Les dettes au profit de ces per‐ sonnes morales sont contractées en dehors des procédures de programmation, d’exécution et de suivi des lois de finances. Ainsi, l’effectivité et l’utilisation de ces créances ne peuvent être attestées par la Cour », peut‐on lire dans le rapport.
Le document renseigne que le rapport du gouvernement sur la situation des finances publiques n’indique pas le service de la dette bancaire. Les travaux effectués par la Cour ont permis de retracer la situation de l’amortissement et des charges financières. Le montant du service de la dette sur la pé‐ riode sous‐revue s’élève à 2 497 milliards de Fcfa. Ce service de la dette est réparti ainsi qu’il suit : amortissement : 2 147,22 mil‐ liards de Fcfa ; intérêts de crédit : 298,77 milliards de Fcfa ; inté‐ rêts et pénalités de retard : 21,73 milliards de Fcfa; commissions et autres frais : 29,28 milliards de Fcfa. L’absence d’un suivi centralisé des échéanciers consécutive à l’utilisation d’un circuit de remboursement non prévu par la règlementation occasionne le paiement d’intérêts et pénalités de retard estimés à 21,73 milliards de Fcfa. Les remboursements sont principalement effectués soit par le Payeur général du Trésor à travers des crédits budgétaires imputés au chapitre « participations financières par crédits », soit par le directeur de l’ordonnancement des dépenses publiques à travers le compte de dépôt «Cap gouver‐ nement » domicilié à la Trésore‐ rie générale.
Les prêts accordés par les banques sont mobilisés dans des comptes bancaires ouverts à cet effet au nom de « l’Etat du Sénégal » et mouvementés sur ordre des ministres chargés des Finances. Ces prêts sont contractés pour couvrir essentiellement des dépenses extrabudgétaires. Au regard des libellés des relevés bancaires transmis à la Cour, il s’agit principalement de l’acquisition de biens et services, des transferts au secteur parapublic et du paiement des charges de la dette publique hors cadrage. Ces opérations doivent être intégrées dans le déficit. Des opérations de trésorerie sont aussi effectuées dans ces comptes bancaires notamment le paiement de l’amortissement de la dette pour un montant de 2 147,21 milliards. Cette pratique ne respecte pas les dispositions des articles 120 et suivants du décret n°2020‐978 portant Règlement général sur la comptabilité publique en vertu desquelles les opérations d’en‐ caissement et de décaissement sont exécutées exclusivement par les comptables publics.
Durant la période sous revue, le déficit affiché par le gouvernement est inférieur à celui reconstitué par la Cour. Pour reconstituer le déficit budgétaire, la Cour a pris en compte les éléments suivants : le mon‐ tant réel des dépenses financées sur ressources extérieures ; les rattachements irréguliers des recettes ; les décaissements extrabudgétaires financés par une partie du surfinancement ; les décaissements extra budgétaires financés par le sukuk ; les dépenses financées par la dette bancaire hors cadrage c’est‐à‐ dire la dette contractée auprès du système bancaire sans autorisation parlementaire ; l’octroi d’une avance de trésorerie d’un montant de 204,58 milliards de Fcfa non régularisée. Il convient de préciser que les dépenses financées par la dette bancaire hors cadrage sont intégrées sur la base des relevés bancaires. Elles sont relatives aux charges financières de la dette, aux acquisitions des biens et services et aux transferts. Les opérations de trésorerie, notamment le remboursement du principal de la dette, ne sont pas prises en compte car n’impactant pas le déficit. De même, les décaissements notés dans les relevés bancaires, dont les libellés ou la nature ne sont pas explicités, sont exclus du calcul du déficit conformément au principe de prudence.
L’encours totale de la dette re‐ présente 99,67% du Pib, selon la Cour
S’agissant de l’avance de tréso‐ rerie d’un montant de 204,58 milliards de Fcfa non régularisée, le ministre des Finances et du Budget précise que celle‐ci a servi à payer des impôts pour un montant de 170 milliards de Fcfa en 2021. Ainsi, il y a lieu de considérer ce montant dans la reconstitution du déficit et non l’intégralité du montant de 204,58 milliards de Fcfa. La Cour considère que l’avance n’étant pas régularisée, le montant y relatif doit être enregistré dans le Tofe pour un montant de 204,58 milliards de Fcfa. L’encours de la dette est reconstitué, dans le cadre de la contradiction avec le ministère des Finances et du Budget, en relation avec la Direction de la dette publique. Il tient compte du montant réel des prêts projets, de la dette bancaire hors cadrage et de certaines correc‐ tions effectuées par la Ddp portant notamment sur le financement. Les informations sur la dette bancaire locale hors cadrage sont tirées des travaux de la Cour des Comptes.
Les travaux réalisés par la Cour montrent que l’encours de la dette est supérieur à celui affiché dans les documents de reddition. L’encours total de la dette de l’administration centrale budgétaire s’élève à 18 558,91 milliards de Fcfa, au 31 décembre 2023, et représente 99, 67% du Pib.
CMG