Comme nous le révélions, les sociétés minières ont bénéficié de renonciations fiscales à hauteur de 234,989 milliards de Fcfa sur la période 2015‐2018. D’autres scandales ont été éventés par la Cour des comptes.
La multiplicité des textes, constatée dans le secteur minier, posait un problème de cohérence et de lisibilité. Pour mettre fin à cette situation, la ré‐ forme intervenue par la loi n°2012‐31 du 31 décembre 2012 modifiée portant Code général des impôts a institué un système d’imposition fondé sur le droit commun incitatif qui consiste, suivant l’exposé des motifs, «en une généralisation des dispositions d’incitation à l’investisse‐ ment les plus efficaces et les mieux ciblées par rapport aux objectifs visés».
Autrement dit, il s’agissait d’ouvrir «la possibilité à toute entre‐ prise qui remplit certaines
conditions générales conformes aux objectifs de la politique économique et sociale de l’Etat de
bénéficier d’importants avantages fiscaux, sans formalisme particulier». Ce système conduisait au dépéris‐ sement de certains régimes déro‐ gatoires et à la transposition d’autres textes particuliers dans le Code général des impôts (Cgi) qui devenait ainsi «le siège unique de toute la législation fiscale». Mais, cette réforme a fait face à une contrainte liée à l’existence de clauses de stabilité fiscale qui garantissaient aux entreprises minières, durant la validité du titre minier ou de la convention, la stabilité du régime fiscal ou douanier en vigueur lors de son octroi ou de sa signature.
Pour la petite histoire, la durée des conventions minières si‐ gnées par le Sénégal varie entre 20 et 75 ans. Au cours de cette durée, les «clauses de stabilité» font que les entreprises restent encore soumises au régime fiscal en vigueur lors de l’agrément du titre minier. Ainsi, la Contribution spéciale sur les produits des mines et car‐ rières (Csmc) instituée par la loi de finances initiale n°2011‐20 du 13 décembre 2011 et s’appliquant sur les produits des mines et le ciment, au taux de 5%, n’a pu être
recouvrée du fait de la rigidité du cadre conventionnel.
En effet, cette taxe a été contestée devant les tribunaux par des
entreprises qui avaient fait l’objet de redressements fiscaux. Celles‐ ci avaient alors invoqué la clause de stabilité instaurée par le Code minier et prévue dans les conventions minières. Ce faisant, tous les titres de perception y relatifs émis par la Direction générale des im‐ pôts et domaines (Dgid) ont été annulés. Durant la période sous revue, au‐ cune prévision n’a été faite pour
cette taxe dans les lois de finances. En 2015, la recette recou‐ vrée au titre de ladite taxe était
de…580.000 Fcfa. En 2016 et 2017, aucun recouvrement n’a été réalisé. En 2018, le montant recouvré était de 731,249 millions
de Fcfa.
La Dgid joue à cache‐cache
avec les vérificateurs Autre problème : dans le secteur minier, les dépenses fiscales sont essentiellement accordées aux entreprises et à leurs sous‐traitants pour des motifs écono‐ miques et trouvent leur
fondement principalement dans les dispositions du code général des impôts, du code des douanes, du code minier, du code des investissements et du régime franc. Les dépenses fiscales occasionnent, à tout le moins pour le court terme, des pertes de recettes pour l’Etat. C’est pourquoi, le Code de transparence dans la gestion des fi‐ nances publiques exige que l’Assemblée nationale soit informée de leur impact budgétaire à travers un rapport rendu public.
La Cour relève des retards dans la publication du rapport sur les dépenses fiscales et la non transmission aux vérificateurs de données relatives aux dépenses fiscales par la Dgid. Au moment de la vérification, le dernier rapport public sur les dé‐ penses fiscales datait de 2016 et portait sur l’année 2014. Les rap‐sous revue n’étaient pas publiés. Pour la Cour, cette situation n’est pas conforme aux dispositions de la loi n°2012‐22 du 27 décembre 2012 portant code de la transparence dans la gestion des finances publiques qui précise au point 1.6 que «lorsque les décisions gouvernementales sont susceptibles d’avoir un impact financier, un chiffrage de l’impact budgétaire complet de ces décisions, en recettes comme en dépenses, est communiqué à l’Assemblée natio‐ nale et rendu public ».
Par ailleurs, le code ajoute à son point 4.10, que « la nature et le coût budgétaire des exonérations et dérogations fiscales ainsi que les prêts, avances et garan‐ ties font l’objet d’une présenta‐ tion détaillée à l’occasion de l’adoption du budget annuel ». La Cour est catégorique : «La non‐publication du rapport sur les dépenses fiscales pour la période sous revue ne favorise pas une bonne appréciation de leur impact budgétaire par l’Assemblée nationale. Cette lacune em‐ pêche la représentation nationale d’exercer son contrôle sur ces abandons de recettes et pose ainsi un problème de transparence dans la gestion des fi‐ nances publiques ». N’empêche, pour s’assurer de l’importance et de la régularité des dépenses fiscales, en l’absence des rapports publics y relatifs, la Cour, par trois lettres successives a demandé à la Dgid de lui fournir les données por‐ tant sur les montants annuels des dépenses fiscales par nature de recettes et par catégories de bénéficiaires pour la période 2015‐2018.
Mais, la Dgid a transmis à la Cour un fichier intitulé «mémo sur mines» dans lequel l’administra‐ tion fiscale précisait que «l’étude portant sur l’année 2014 a été publiée. Mais, les données concernant les années 2015 et 2016 sont stabilisées et transmises au ministère pour valida‐ tion et publication. Celles relatives à 2017 et 2018 sont en cours de collecte ». En tout état de cause, estime la Cour, un système automatisé de suivi des dépenses fiscales au sein de la Dgid pourrait permet‐ tre de disposer, en temps réel, du coût budgétaire des opérations de dépenses fiscales. «Le directeur général des Impôts et des Domaines n’a pas fourni d’explication sur la non‐ trans‐ mission des données sur les dé‐ penses fiscales pour les gestions 2015 à 2018 malgré les requêtes de l’institution et l’observation qui lui a été adressée dans le rap‐ port provisoire. Il convient de rappeler que la loi organique sur la Cour des comptes, notamment en son article 63, fait obligation aux personnes ou organismes contrôlés par l’institution de communiquer les renseignements ou documents
demandés », fait remarquer la Cour qui demande «la communication diligente et intégrale des renseignements et documents demandés ».
Par ailleurs, la Cour a «fouillé » le recouvrement des recettes minières en général effectué par la Division du recouvrement. Mais voilà encore : la Dgid n’a pas transmis à la Cour la situation des restes à recouvrer sur les re‐ cettes issues du secteur minier.
De même, elle n’a pas communi‐ qué la situation des majorations et autres frais de poursuite demandée par la Cour au motif que les opérations y relatives ne sont pas «comptabilisées comme recettes budgétaires .»
Par ailleurs, durant la période sous revue, le taux de recouvrement des créances fiscales émises
sur titres de perception était très faible. Sur des titres de perception d’un montant global de 36 863 617 347 Fcfa, les restes à recou‐ vrer étaient estimés à près de 17
706 096 067 Fcfa, soit 48%. Pour la gestion 2015, la faiblesse du taux de recouvrement s’explique par les contreperfor‐ mances notées essentiellement pour les sociétés Grande côte opérations et Agem où les taux de recouvrement sont, respectivement, de 13% et 21%.
Concernant la gestion 2016, le manque à gagner pour l’Etat s’élevait à 10 746 832 202 Fcfa, en termes de recettes. En 2017, les restes à recouvrer étaient de 4 336 070 593 Fcfa, montant sous‐évalué car des re‐ couvrements importants ont été effectués sur Capricorn (3 026 586 270 Fcfa) et Ciments du Sahel (332 808 151 Fcfa) alors que les montants des titres de per‐ ception y afférents n’ont pas été renseignés.
Des délinquants fiscaux récidivistes au coeur des mines sénégalaises
A ces restes à recouvrer de 2017, s’ajoutait l’importante dette fis‐ cale de la Sococim qui devait à
l’Etat 8 388 722 21 Fcfa. En 2018, le montant des restes à recouvrer étaient à 2 436 900 365 Fcfa
et concernait Sephos et Aig. La situation des intérêts de re‐ tard, amendes et pénalité, les procès‐verbaux des contrôles y relatifs ainsi que les copies des ti‐ tres de perception afférentes à
ces créances n’ont pas été trans‐ mis par la Dgid. Comme pour les
majorations sur impôts directs, la Cour considère qu’il n’est pas possible de détacher ces intérêts, amendes et pénalités des
recettes budgétaires dont elles permettent d’apprécier l’efficacité de leur recouvrement.
La Cour n’a pas manqué de souligner l’importance et la récur‐ rence des redressements fiscaux
ainsi que la fréquence des cas de récidive notées dans le secteur minier. Pour elle, cela justifie am‐ plement la nécessité d’apprécier l’efficacité et le caractère dissua‐ sif des sanctions appliquées. C’est le cas de l’entreprise Sococim re‐ dressée en 2015 et 2017 ; de Ggo en 2015 et 2018 ; d’Agem en 2015
et 2017 ; de Dangote en 2016 et 2017 et de Aig en 2017 et 2018. 17, 7 milliards de Fcfa «redressés» mais non recouvrés
La Cour a ainsi demandé au di‐ recteur général des impôts et des domaines de produire les di‐ ligences entreprises pour assurer le recouvrement des restes à re‐ couvrer notés durant la période et qui s’élèvent à un montant total de 17 706 096 067 Fcfa, d’expliquer la non‐transmission des données sur les intérêts de retard, amendes et pénalités et des copies des titres de perception ainsi que des procès‐ver‐ baux de contrôle ; et de justifier l’absence d’émission des titres de perception pour les sociétés Sococim en 2015, pour Capricon et Cds en 2017.