RÉSERVE DE BANDIA ; ZCA DE SÉDHIOU/RELAIS FLEURI, DE KANDIA Des milliers d’hectares cédés à des privés hors‐la‐loi

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Libération a pris connaissance de l’audit de la performance de la Direction des eaux, forêts, chasses et de la conservation des sols (Defccs). Il a été réalisé par la Cour des comptes sur la période 2019‐2021.

L es vérificateurs de la Cour des comptes se sont intéressés à la Réserve animalière de Bandia qui est l’objet de l’une des premières expériences de concession en matière de gestion forestière au Sénégal. A travers un protocole signé en 2004, l’Etat du Sénégal a concédé à la Réserve de Bandia Sarl (Rb Sarl) la gestion de la faune et de la flore d’une partie  de la forêt classée de Bandia, dont l’emprise couvre une superficie de 3500 ha.
La visite de l’équipe d’audit sur le site a permis de constater un certain nombre d’irrégularités et
de faiblesses dans la gestion de la Réserve, liées notamment au non‐respect des prescriptions
du protocole et à la non‐conformité du plan d’aménagement aux dispositions réglementaires en vigueur en matière de ges‐ tion de la faune.
A cet égard, la revue a permis de constater plusieurs irrégularités dans la mise en œuvre du protocole de concession. Il a été relevé des constructions en dur non autorisées ; l’absence de rapport technique annuel, le non‐respect par le concessionnaire de ses engagements en matière de protection et de surveillance.
En effet, l’article 8 du protocole de concession interdit toute construction en dur, sauf autori‐ sation du ministre chargé des  Eaux et Forêts. Nonobstant cette interdiction, la Rb Sarl a procédé à l’édification de plu‐ sieurs ouvrages, dictée selon ses responsables par le souci de dis‐ poser d’une «base vie». «Même si, le gérant de la Rb Sarl a adressé une lettre en date du 07 juin 2011 au directeur des Eaux et

Forêts pour solliciter l’autorisation de construire en dur, celle‐ ci n’a jamais été acquise, ce courrier étant resté sans suite », selon la Cour des comptes. L’article 10 du protocole impose à la Rb Sarl de faire rapport à la
Defccs, chaque année, sur le dé‐ roulement des opérations et des paramètres techniques de performance (productivité annuelle, prélèvements, pertes). Il ressort de l’entretien avec le gérant de la Rb Sarl que cette obli‐ gation contractuelle n’est pas honorée par le concessionnaire. De plus, selon ce dernier, la Defccs n’a jamais réclamé un tel rapport.

Par ailleurs, en vertu de l’article 7 du protocole de concession, la Rb Sarl a l’obligation entre au‐ tres de veiller à la surveillance de la faune et de la flore, à travers notamment l’installation de postes d’observation, de mira‐ dors et de stations de vision. Toutefois, la Cour constate que la RBb Sarl n’a mis en en place que 4 miradors dont 2 seulement sont fonctionnels pour la surveil‐ lance de la Réserve, ce qui est, de toute évidence insuffisant, pour surveiller un site d’une superficie de 3 500 ha.

Aussi, le plan d’aménagement prévoit l’installation d’un mirador sur Série de manquements

D’après la Cour, «tous ces manquements sont liés au déficit de contrôle de la gestion de la Ré‐ serve de la part de la Defccs. Celle‐ci n’a pris aucune mesure administrative pour obliger la Rb Sarl à respecter les clauses du protocole. Au surplus, l’administration foreste n’a pas pu fournier à l’équipe de vérification aucun
rapport de contrôle, d’inspection ou d’évaluation des activités du concessionnaire ». Dans ses réponses, le Defccs affirme que « des mesures étaient prises par des lettres de rappel adressées à la Rb‐Sarl en 2011 et 2019 ».

La Cour précise que les lettres de rappel invoquées avaient plutôt pour objet les arriérés de paiement des sommes dues à l’Etat.

De plus, le contrôle qui incombe à la Defccs ne saurait se limiter à l’envoi de lettres au concession‐ naire. Un plan d’aménagement non conforme aux dispositions du Code de la chasse
Comme prévu dans le protocole en son article 6, la Rb Sarl gère la Réserve sur la base d’un plan d’aménagement approuvé par le Directeur des eaux, forêts, chasses et de la conservation des sols. Ce document qui défi‐ nit entre autres les activités, le détail des aménagements à ef‐ fectuer et les moyens à mobili‐ ser, est censé garantir une gestion durable de l’aire proté‐ gée. A ce titre, ses prescriptions doivent être alignées aux op‐ tions politiques déclinées dans les documents stratégiques de la foresterie et conformes aux dispositions législatives et réglementaires qui encadrent l’activité de la Defccs. «Il ressort de l’examen du plan d’aménage‐ ment de la Réserve de Bandia que celui‐ci prévoit des activités qui sont interdites par le Code de la chasse. En effet, aux pages 34 et 36 du document, il est préconisé la commercialisation de la viande de gibier au niveau du bar‐restaurant de la Réserve et à des hôtels et restaurants du pays, alors que l’article D 30 du décret n°86‐844 du 14 juillet 1986 portant Code de la chasse et de la protection de la faune dispose :

«L’échange, la cession, la commercialisation sous quelque forme que ce soit, le stockage dans les installations frigori‐ fiques publiques de toute viande de chasse ou de tout gibier d’ori‐ gine sénégalaise est interdite sauf autorisation du ministre chargé des eaux, forêts et chasses », rappelle la Cour. Dans ses réponses, le Defccs affirme que « la viande de chasse commercialisée dans la réserve de Bandia provient d’un prélève‐ ment effectué sur les animaux appartenant à la réserve… ». La Cour précise que dans le plan d’aménagement, il est bien question de vente de viande de  chasse. Or, la commercialisation de viande de chasse, quelle que soit son origine et la vocation qui lui est donnée, reste interdite par le Code de la chasse et de la
protection de la faune. Des redevances de concession impayées

Mais ce n’est pas le seul problème. Selon le protocole liant les parties, la Réserve de Bandia Sarl (Rb Sarl) est bénéficiaire d’une concession pour l’exploitation à des fins de tourisme fau‐ nique, culturel et végétal d’une partie de la forêt classée. Pour rappel, la Rb Sarl qui était déjà
affectataire d’une superficie de 500 ha dans la même forêt clas‐ sée suivant arrêté n°002394/Mefp/Dgid/Dedt du 8 mars 1995 abrogeant l’arrêté n°13‐133 du 22 septembre 1987 autorisant Monsieur Arthur Piepper à mettre en valeur et à exploiter la forêt classée de Bandia et autorisant la Sarl Réserve de Bandia à mettre en valeur et à exploiter ladite forêt classée, s’est vue octroyer une assiette supplémentaire de 3 000 ha au titre dudit protocole. En contre‐ partie, la Rb Sarl est astreinte à un certain nombre d’engage‐ ments financiers à l’égard de l’Etat et des collectivités territoriales riveraines. «Toutefois, il a été constaté que celle‐ci ne s’ac‐ quitte pas de ses obligations financières ni à l’égard de l’Etat ni vis‐à‐vis des communes riveraines du domaine concédé », révèle la Cour des comptes.

Une allocation annuelle jamais versée aux collectivités territoriales riveraines

Aux termes de l’article 13 du protocole susvisé, la Rb Sarl s’engageait à verser, pendant les cinq
premières années de la concession, pour les 500 ha initiale‐ ment occupés, une redevance
annuelle de 2.000.000 F Cfa à l’Etat et une allocation annuelle de 500.000 Fcfa à la « communauté rurale de Bandia (Sic). En outre, en vertu de l’article 15, « la Rb Sarl s’engage également à consentir une allocation annuelle de 1 000 Fcfa par hectare concédé à la communauté rurale de Bandia (Sic). Ce montant est réévalué de 10% tous les 5 ans ».
Au regard des quittances produites par les responsables de la Rb Sarl, à la date du 31 mars 2023, celle‐ci est à jour de ses obligations au titre de la rede‐ vance annuelle versée au profit de l’Etat dans la caisse du receveur des domaines de Mbour. «Il faut toutefois signaler que les re‐ devances de 2021, 2022 ont été régularisées le 24 février 2023, c’est‐à‐dire quelques jours après le passage de l’équipe de vérification dans la Réserve », note la Cour. En revanche, les allocations annuelles prévues pour les collectivités territoriales rive‐ raines en vertu des articles 13 et 15 du protocole n’ont jamais été versées depuis l’entrée en vigueur du protocole en 2004. Le concessionnaire a profité d’une erreur survenue lors de la rédaction de ces articles où il est visé «la communauté rurale de Diass ces allocations annuelles, alors
que celle‐ci n’existe pas.

D’aprèsla Cour, les 3 500 ha exploités par la Rb Sarl sont susceptibles d’empiéter les périmètres de
plusieurs communes. Il s’agit de Sindia, Diass, Notto Diobass etTassette.

Il se pose alors d’abord la question de la répartition spatiale de la Réserve dans les com‐ munes ensuite celle de la clé de répartition des recettes entre ces dernières. En dépit du fait que la Defccs a réalisé une carto‐ graphie comportant une répar‐ tition de la superficie du  domaine concédé dans les péri‐ mètres des communes susmen‐ tionnées sur la base des limites territoriales fixées par l’Agence nationale d’aménagement du Territoire (Anat), le problème reste entier étant entendu que les données vectorielles fournies par l’Anat ne sont pas encore va‐ lidées. Selon cette carte de la Defccs, l’assiette concédée à la Rb Sarl est répartie dans les communes riveraines ainsi qu’il suit :

Sindia (2680 ha) soit 76,57% ; Diass (537 ha) soit 15,34% et Notto Diobass (46 ha) soit 1,31%. «En tout état de cause, ni l’erreur matérielle relevée dans les articles 13 et 15 du protocole ni l’absence de clé de répartition ne devaient empêcher le versement des sommes dues dès lors que, dans l’esprit du protocole, c’est la col‐ lectivité territoriale du ressort qui est visé à travers la « communauté de Bandia ». Ainsi, la Rb Sarl aurait dû verser chaque année le montant intégral des allocations au comptable assignataire qui a la possibilité d’encaisser la recette et de la comptabiliser dans un compte d’imputation provisoire, en at‐ tendant la mise en place d’une clé de répartition par l’autorité compétente », écrit la Cour.

Qui plus, il ressort des analyses de la Cour que le concessionnaire doit aux communes rive‐ raines la somme globale de 81.216.000 Fcfa sur la période 2004‐2023. Dans ses réponses, le Defccs affirme que la direction « procédera à la révision du proto‐ cole liant la Rb Sarl à l’Etat afin de permettre à celle‐ci de verser les allocations annuelles prévues aux articles 13 et 15… ».

Non versement de redevances dues à l’Etat

Aux termes de l’article 14 du pro‐ tocole susvisé, « la Rb Sarl s’en‐ gage à verser à l’Etat du Sénégal
une redevance annuelle de 1500 Fcfa par hectare sur les 3000 ha constituant l’extension de son domaine et objet de la conces‐ sion. Cette redevance est rééva‐ luée toutes les cinq années par une hausse de 10% ». Cette rede‐ vance est versée à la Caisse intermédiaire de recettes forestières en place à la Defccs au niveau central contrairement à celle qui est due au titre des 500 ha, laquelle est versée dans la caisse du receveur des domaines de Mbour.

Toutefois, il a été constaté que, depuis l’en‐ trée en vigueur du protocole de concession, la Rb Sarl n’a effectué que trois versements (en 2011, 2012 et 2019) pour un montant cumulé de 30.000.000 Fcfa. Le conces‐ sionnaire doit à l’Etat du Sé‐ négal la somme de soixante‐quatorze millions quatre cent vingt‐deux mille cinq cent (74 422 500) Fcfa. «Malgré le caractère contrac‐ tuel de cette redevance, la Defccs n’a pas effectué les diligences nécessaires en vue de son recouvrement intégral dans les délais impartis. En  effet, aucun document (lettre de rappel, mise en demeure) pouvant attester d’une quel‐ conque action de poursuite n’a été fourni à l’équipe d’au‐ dit à cet égard », déplore la Cour.

Des gestionnaires de Zone de chasse amodiée hors‐la loi

La Cour s’est aussi penché sur la gestion d’autres Zones de chasse amodiée (Zca). Par dé‐ cision n°29/Crkd/Pc du 10 août 2007 de l’ancien Conseil ré‐ gional de Kolda, Madame Chantal Betrand a été autori‐ sée à amodier une zone de chasse dite Sédhiou/Relais Fleuri d’une superficie de 60.000 hectares. Madame
Bertrand est astreinte au paiement d’une taxe annuelle d’amodiation d’un montant de 2.100.000 Fcfa en sus des autres droits pré‐ vus par le Code de la chasse et de la protection de la Faune. Toutefois, «au vu des
quittances produites par l’amodiataire, cette dernière ne s’est pas acquittée de l’in‐ tégralité des montants dus
au titre de cette taxe », a dé‐ couvert la Cour. D’après elle, l’amodiataire de la Zca Sé‐ dhiou/Relais Fleuri doit à
l’Etat du Sénégal la somme de 3.150.000 Fcfa au titre des arriérés de paiement de la taxe annuelle d’amodiation.

Par décision n°007/Cdf du 15 avril 2016, le président du Conseil départemental de Foundiougne a autorisé l’amodiation d’une zone de chasse située dans la com‐ mune de Djilor et couvrant une superficie de 43 000 hec‐ tares. Sur la base de cette dé‐ cision, la Defccs a établi et soumis à la signature de Monsieur Maurice Maler‐ baud un cahier des charges ayant pour objet de préciser les clauses engageant les parties dans le cadre de la location des droits de chasse dans la zone de chasse dé‐ nommée Djilor/Passy Chasse.
En vertu de l’article 10 dudit cahier des charges, l’amodia‐ taire s’engage à payer une taxe annuelle d’amodiation de 1 505 000 Fcfa pour l’assiette globale qui lui est af‐ fectée. La Cour constate
qu’au moment de la revue, cette taxe n’a pas été acquit‐ tée en ce qui concerne les exercices 2020 et 2021, soit des arriérés d’un montant cumulé de 3 010 000 Fcfa.

Dans sa réponse, le lieutenant colonel Modou Moustapha Sarr, ancien Iref de Fatick, admet que la taxe annuelle qui s’élève à 3 010 000 F cfa reste due par l’amodiataire à l’Etat. Il a transmis à la Cour la « lettre de rappel » qui a été envoyée à Monsieur Malerbaud.
Il y a aussi la Zca de Kandia qui se situe dans le départe‐ ment de Vélingara et qui cou‐ vre une superficie de 30.000 hectares. Au cours de la pé‐ riode sous revue, deux amo‐ diataires l’ont tour à tour exploitée. Il s’agit de Mon‐ sieur Amadou Tidiane Diallo (décision n°2017‐02/AA/Cdv/P du 22 décembre 2017) pour les années 2019 et 2020, et Monsieur Yangoène Simon Pierre Coly (décision n°2021/007/AA/CDV/P du 06 décembre 2021) au titre la campagne 2021. L’exploitation de la zone de chasse par ces derniers est encadrée par des cahiers des charges établis par le Directeur des eaux, forêts, chasses et de la conservation des sols et ap‐ prouvés par le ministre chargé des Eaux et Forêts.

Dans les deux cas, préalable‐ ment au démarrage de toute activité de chasse, l’amodia‐ taire est astreint au paiement d’une taxe d’amodiation de 1.050.000 Fcfa par an et des droits d’un montant de 300.000 Fcfa à acquitter chaque année au titre de la li‐ cence d’exploitant cynégétique. «L’analyse des documents comptables du secteur forestier de Vélingara a permis de relever le non‐ paiement de la taxe d’amodiation au titre de l’année 2021. De plus, lors de la campagne cynégétique 2019‐ 2020, l’amodiataire ne s’est pas conformé à l’article 11 du cahier des charges. En effet, la taxe d’amodiation a été payée en deux tranches : un acompte de 700 000 Fcfa a été versé le 9 janvier 2020.
Ensuite, le reliquat de 350 000 Fcfa a été acquitté le 02  mars 2020 », dit la Cour. En ce qui concerne le non‐recou‐ vrement de la taxe d’amo‐ diation de 1.050.000 Fcfa, au titre de l’année 2021, le lieutenant‐colonel Mamadou Goudiaby, ancien Iref de Kolda et le capitaine Gotte Dieng, chef du secteur forestier de Vélingara à l’époque, invoquent les effets de la pandémie de Covid‐19, tout en admettant que ce mon‐ tant reste dû à l’Etat. De son côté, le lieutenant‐colonel Dame Diop, ancien chef du secteur forestier de Vélingara, justifie le règlement en deux tranches de la taxe d’amodiation de 2020 par le souci de « sauver ses prévisions de recettes cynégétiques » à travers cette facilité de paiement accordé  à l’amodiataire. Un argument balayé
par la Cour des comptes.

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