La question de la révocation de la loi d’amnistie adoptée par l’Assemblée nationale le 6 mars
2024 se pose avec acuité dans l’espace public. Ismaïla Madior Fall prône tantôt, « une
commission de justice et réconciliation », tantôt, il laisse le dernier mot aux juges ; avant de se
faire emboîter le pas par Aïssata Tall Sall qui considère à tort qu’il sera plus difficile d’abroger la
loi d’amnistie. À l’opposé, le Président Ousmane Sonko ayant fait de l’abrogation de la loi
d’amnistie une promesse de campagne ne voit pas les choses de cet œil.
Toutefois, si l’on met de côté les considérations politiques où chacun défend son camp : la
question simple qu’il faut se poser, est de savoir s’il est juridiquement possible d’abroger ou de
révoquer une loi d’amnistie ?
La réponse à cette question est purement juridique. Par conséquent, on va y répondre ici à travers
des éléments probants tirés d’un certain nombre d’expériences concrètes à travers le monde.
Ce faisant, au-delà du droit interne, le recours au droit comparé constitue donc, à bien des égards,
un terreau fertile pour trouver les bonnes réponses à cette question.
1) L’exemple du Pérou : la remise en cause de l’amnistie
En 1991, des membres de l’armée péruvienne avaient fait usage de leur arme à feu en tirant dans
une foule de civils (plusieurs morts). Après cet incident, l’Etat péruvien avait décidé d’effacer ces
crimes par le biais d’une loi d’amnistie, en exonérant ainsi la responsabilité de l’armée, mais
aussi, des forces de police, et même des civils.
Toutefois, le coordinateur national des droits de l’Homme et plusieurs ONG agissant au nom des
victimes et de leurs familles, ont décidé de saisir la Cour interaméricaine des droits de l’homme :
l’arrêt de la Cour est intervenu en 2001 dans la célèbre affaire Barrios Altos c/Pérou. En
l’espèce, la Cour rejeta très sévèrement la loi d’amnistie, en mettant l’accent sur :
« l’inadmissibilité des dispositions internes adoptées par l’État péruvien prévoyant une
amnistie qui aurait pour conséquence d’empêcher les enquêtes et la sanction des responsables
de violations graves des droits de l’homme (torture, disparitions forcées, exécutions sommaires,
etc). », (Voir, Éric Tardif, « Le système interaméricain de protection des droits de l’homme :
particularités, percées et défis », Revue internationale des droits de l’homme n° 6/2014, p. 17.
Dans cette affaire, pour remettre en cause la loi d’amnistie péruvienne, la Cour a retenu : le droit
à la vie, le droit à l’intégrité physique de la personne, le droit aux garanties judiciaires et à la
protection judiciaire.
À la suite de cet arrêt, la Cour suprême du Pérou était obligée de donner finalement injonction
aux juridictions inférieures, afin qu’elles rouvrent tous les dossiers criminels relatifs à
l’affaire Barrios Altos.
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Depuis lors, la Cour constitutionnelle péruvienne veille systématiquement sur le droit de tout
individu à un recours effectif devant un tribunal compétent pour protéger ses droits contre des
actes qui violentent ses droits fondamentaux.
Donc, la remise en cause des lois d’amnistie devant la Cour interaméricaine des droits de
l’homme n’est pas un tabou (il en était de même dans son arrêt Loayza Tamayo c/Pérou
(1997), entre autres).
2) L’exemple du Salvador : l’exclusion de l’amnistie aux crimes de guerre et crimes contre
l’humanité
Interprétant l’article 6 paragraphe 5 du Protocole additionnel II aux Conventions de Genève,
relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux : la Cour
interaméricaine des droits de l’homme exclut de son champ d’application les auteurs de
crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité (Voir, arrêt du 25 octobre 2016, Massacres
d’El Mozote et lieux voisins c/Salvador, § 286).
La Cour interaméricaine des droits de l’homme met donc l’accent, sur les obligations que le
droit international impose aux États de mener des investigations et d’ouvrir des poursuites
relativement aux crimes de guerre ou crimes contre l’humanité.
Ainsi, la Cour interaméricaine a jugé que « les personnes soupçonnées ou accusées de crimes de
guerre ne peuvent bénéficier d’une amnistie ».
La même règle en termes d’obligation d’enquête et de poursuite des présumés auteurs desdits
crimes vaut, pour les violations graves aux droits fondamentaux de l’homme. Dès lors, les
amnisties prévues par l’article 6 paragraphe 5 du Protocole additionnel II aux Conventions de
Genève ne sont donc pas applicables à de tels actes.
3) L’exemple de la Slovaquie : la révocation de l’amnistie
Des personnes avaient fait l’objet de poursuites pénales en Slovaquie pour une série
d’infractions qui auraient été commises au cours de l’année 1995. Mais, le 3 mars 1998, le
Président du gouvernement de la République slovaque, qui, en raison de l’expiration du
mandat du Président de la République, exerçait à l’époque, les pouvoirs de celui-ci, a décrété
une amnistie couvrant ces infractions.
Ainsi, à travers sa décision du 29 juin 2001, l’Okresný súd Bratislava III (tribunal de district de
Bratislava III, Slovaquie), a clôturé les poursuites sur le fondement de cette amnistie. Cette
décision définitive produit en droit slovaque les mêmes effets que ceux qu’aurait entraînés un
arrêt de relaxe ou d’acquittement.
Le 4 avril 2017 sont entrées en vigueur la loi constitutionnelle 71/2017 et la loi 72/2017.
S’appuyant sur une résolution du 5 avril 2017, le Conseil national de la République slovaque a,
sur le fondement de l’article 86, sous i), de la Constitution modifiée, révoqué l’amnistie de
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Dans une Décision du 31 mai 2017, l’Ústavný súd Slovenskej republiky (Cour constitutionnelle
de la République slovaque) a, en application de l’article 129a de la Constitution modifiée, jugé
que cette résolution était conforme à la Constitution.
Dès lors, en vertu de l’article 154f paragraphe 2 de la Constitution modifiée, la résolution du 5
avril 2017 révoquant l’amnistie de 1998 emporte l’annulation de la décision du 29 juin 2001
de l’Okresný súd Bratislava III (tribunal de district de Bratislava III), de sorte que les poursuites
pénales contre les personnes poursuivies ont été reprises.
Par la suite, la juridiction slovaque, sur demande du parquet régional de Bratislava, a émis un
mandat d’arrêt international contre ST, au motif que celui-ci pourrait se trouver au Mali. Mais,
ne pouvant exclure que cette personne se trouve sur le territoire de l’un des États membres de
l’Union européenne, elle a l’intention d’émettre également un mandat d’arrêt européen à son
encontre.
Dans cette perspective, la juridiction slovaque a décidé de poser une question préjudicielle à la
Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), consistant à savoir si le principe non bis in idem
ne s’opposait pas à l’émission d’un tel mandat d’arrêt européen dans l’affaire au principal.
La réponse de la Cour de justice de l’Union européenne est sans ambiguïté. En effet, dans son
arrêt CJUE, 16 décembre 2021, aff. C-203/20, elle souligne que : « L’article 50 de la charte des
droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose
pas à l’émission d’un mandat d’arrêt européen contre une personne ayant fait l’objet de
poursuites pénales initialement interrompues par une décision juridictionnelle définitive
adoptée sur le fondement d’une amnistie, et reprises à la suite de l’adoption d’une loi
révoquant cette amnistie et annulant ladite décision juridictionnelle, lorsque cette dernière a
été adoptée avant toute appréciation de la responsabilité pénale de la personne concernée. ».
4) L’exemple argentin : la neutralisation des lois d’amnistie
En Argentine en 2005, l’arrêt Simon de la Cour suprême, a neutralisé les effets juridiques de
certaines lois d’amnistie, ouvrant ainsi la voie à la condamnation de Julio Hector Simon à une
peine de 25 ans de prison, et la réouverture d’un millier d’affaires pénales dans lesquelles
était mise en cause la responsabilité d’effectifs militaires et ex militaires liés à la répression
qui s’était institutionnalisée dans ce pays entre 1976 et 1983.
En l’espèce, la Cour suprême rappelle que les individus ayant bénéficié de ces lois d’amnistie
ne pouvaient invoquer la chose jugée en vertu des principes établis par la Cour
interaméricaine, en particulier dans l’affaire Barrios Altos, préc.
En tout état de cause, cela pourrait expliquer le fait que, le tribunal constitutionnel argentin
dans une décision de 2007, déclara inconstitutionnel le décret du pouvoir exécutif édicté en
1989, et qui graciait le général Santiago Riveros en s’appuyant sur les arrêts Barrios Altos et
Almonacid.
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5) L’exemple de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) : le principe
d’inapplicabilité des lois d’amnistie aux crimes internationaux :
Il ressort de l’arrêt de la CEDH, 27 mai 2014, Marguš c/ Croatie, que la Cour européenne des
droits de l’homme n’est pas favorable à l’application des lois d’amnistie aux crimes de guerre (on
pourrait, par extension, y inclure les crimes contre l’humanité, les crimes de génocide…).
En principe, les crimes internationaux ne peuvent pas être couverts par des lois d’auto-amnistie
adoptées par les États. C’est la raison pour laquelle, la Cour rappelle que l’amnistie peut être une
porte de sortie à la fin d’une crise politique ou des hostilités ; toutefois, elle ne doit pas viser à
amnistier ceux qui ont violé le droit international humanitaire. La Cour est donc consciente
des effets pervers que peuvent avoir les lois d’amnistie adoptées par certains États, pour assurer
l’impunité aux auteurs des violations du droit international humanitaire.
Ainsi, la Cour fait observer que dans le cas du génocide, des crimes de guerre, des crimes contre
l’humanité, de la torture et des violations graves aux Conventions de Genève : l’amnistie
empêchant toutes poursuites et sanctions irait à rebours des traités qui obligent les États à
poursuivre et à punir les auteurs de ces crimes (à savoir, la Convention sur le génocide, la
Convention contre la torture et les Conventions de Genève).
La position de la Cour est sans équivoque lorsqu’elle déclare : qu’« [i]l est de plus en plus admis
que l’octroi d’une amnistie relativement à des « crimes internationaux » – qui comprennent les
crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les génocides – est interdit par le droit
international » et « [c]ette conception ressort des règles coutumières du droit international
humanitaire, des traités en matière de droits de l’homme ainsi que des décisions de tribunaux
internationaux et régionaux et de la pratique émergente des États, sachant que l’on observe une
tendance croissante des juridictions internationales, régionales et nationales à annuler les
amnisties générales édictées par les gouvernements ».
Dès lors, selon la Cour : l’octroi d’une amnistie au requérant pour des actes qui s’analysaient
en des crimes de guerre avait constitué un « vice fondamental » de la procédure, ouvrant
ainsi la possibilité de rejuger l’intéressé.
Il découle également de l’opinion concordante commune aux juges de la CEDH : «
qu’aujourd’hui, l’amnistie peut toujours être considérée comme légitime au regard du droit
international et qu’on peut donc l’utiliser dès lors qu’elle n’est pas conçue pour dispenser la
personne concernée de répondre de violations flagrantes des droits de l’homme ou de violations
graves du droit international humanitaire. La prochaine étape pourrait être l’interdiction
absolue de l’amnistie relativement à de telles violations », indique la Cour.
6) L’inapplicabilité des lois d’amnistie à la torture selon la Cour européenne des droits de
l’homme (CEDH) :
On peut prendre ici l’exemple de l’arrêt CEDH, 17 mars 2009, Ely Ould Dah c/France. En
l’espèce, les faits étaient les suivants : entre novembre 1990 et mars 1991, des affrontements ont
eu lieu entre des Mauritaniens d’origine arabo-berbère et d’autres appartenant à des éthnies
d’Afrique noire. Des militaires de ces éthnies ont été accusés d’avoir fomenté un coup d’Etat. Ils
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furent retenus prisonniers. Mais, certains d’entre eux ont été victimes d’actes de torture ou de
barbarie de la part de leurs gardiens, parmi ces derniers le requérant Ely Ould Dah, officier de
renseignements à l’état-major de Nouakchott, ayant le grade de lieutenant.
À la surprise générale, le 14 juin 1993, une loi d’amnistie fut adoptée au bénéfice des
membres des forces armées et de sécurité auteurs des infractions commises entre le 1er
janvier 1989 et le 18 avril 1992, et relatives aux événements ayant entraîné des actions armées et
des actes de violence. En raison de cette loi, le requérant ne fut pas inquiété pour les faits commis
sur des prisonniers. Mais, en août 1998, le requérant, alors capitaine de l’armée mauritanienne,
arriva en France pour effectuer un stage à l’école du commissariat de l’armée de terre de
Montpellier.
Et le 8 juin 1999, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme et la Ligue
des droits de l’homme déposèrent une plainte avec constitution de partie civile à l’encontre
du requérant Ely Ould Dah, en raison des tortures qu’il aurait commises en Mauritanie en
1990 et 1991. Ces poursuites se fondaient sur la Convention contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies
le 10 décembre 1984, ratifiée par la France et entrée en vigueur le 26 juin 1987 (Convention
contre la torture). Donc, finalement Ely Ould Dah fut interpellé, jugé et condamné en France.
Étant rappelé ici, que la Cour d’assises française avait condamné Ely Ould Dah à dix (10) ans de
réclusion criminelle pour avoir, d’une part, volontairement soumis certaines personnes à des
actes de torture et de barbarie et, d’autre part, provoqué de tels faits sur d’autres détenus par
abus d’autorité ou en donnant des instructions aux militaires qui les ont commis.
Ely Ould Dah a décidé de saisir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), après
épuisement des voie de recours interne dans l’ordre juridique interne français.
En l’espèce, la Cour estime, en accord avec la jurisprudence du Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), que l’interdiction de la torture a valeur de
norme impérative, c’est-à-dire de jus cogens (Voir, Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no
35763/97, § 60, CEDH 2001-XI). S’appuyant sur le Comité des droits de l’homme des Nations
unies et du TPIY, la Cour considère que l’amnistie est généralement incompatible avec le
devoir qu’ont les Etats d’enquêter sur de tels actes.
La Cour rappela que la loi d’amnistie mauritanienne est intervenue non pas après jugement
et condamnation d’Ely Ould Dah, mais précisément en vue d’empêcher toute poursuite
pénale à l’encontre de celui-ci, sans qu’il y ait un processus de réconciliation mis en place par
l’État mauritanien.
La Cour insiste d’ailleurs sur le fait qu’en matière de torture ou d’actes de barbarie, on ne saurait
dès lors remettre en cause l’obligation de poursuivre de tels faits en accordant l’impunité à
son auteur par l’adoption d’une loi d’amnistie susceptible d’être qualifiée d’abusive au
regard du droit international.
Le Comité des droits de l’homme des Nations unies avait d’ailleurs déclaré en 1992 à travers son
Observation générale n° 20 sur l’article 7 du Pacte international, avoir noté que certains Etats
avaient curieusement octroyé l’amnistie pour des actes de torture ; or, « [l]’amnistie est
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généralement incompatible avec le devoir qu’ont les Etats d’enquêter sur de tels actes ; de
garantir la protection contre de tels actes dans leur juridiction ; et de veiller à ce qu’ils ne se
reproduisent pas à l’avenir. Les Etats ne peuvent priver les particuliers du droit à un recours
effectif, y compris le droit à une indemnisation et à la réadaptation la plus complète possible. »,
(Voir, Compilation des Observations générales et Recommandations générales adoptées par les
organes de traités, UN Doc. HRI/GEN/1/Rev.1 (1994), p. 30).
7) La dénonciation et la « condamnation » d’une loi d’amnistie à travers la Résolution du
Parlement européen relative à l’amnistie octroyée aux ravisseurs présumés de Carmelo
Soria :
Carmelo Soria Espinosa est un ressortissant européen (citoyen espagnol), qui a été assassiné au
Chili le 14 juillet 1976 par la brigade Mulchen, appartenant à la Direction des services de
renseignements nationaux (DINA). À la suite de cet incident, l’État chilien avait adopté une loi
d’amnistie sous forme de décret n° 2191.
Mais, en 1996, le Parlement européen a adopté une Résolution dénonçant et condamnant
vigoureusement la loi d’amnistie chilienne, en ces termes :
« Considérant que l’application de la loi d’amnistie (décret 2191), adoptée par la dictature
militaire de Pinochet en 1978 en faveur des personnes inculpées dans l’affaire, à savoir le
major Guillermo Humberto Salinas Torres et le sous-officier José Remigio Ríos San Martin,
constitue une violation de la Convention souscrite le 29 mars 1977 par le Chili, sur la
prévention et la punition des délits commis contre les personnes protégées à l’échelle
internationale ;
« Considérant qu’aucune loi de pardon ou d’amnistie ne saurait prévaloir sur la justice et le
droit international, fondements du développement d’une société démocratique ;
« Considérant que tous les assassinats et les disparitions qui se sont produits pendant la
dictature exigent qu’une enquête soit menée et une sentence juste prononcée les concernant
pour mieux fonder l’établissement de la paix sociale au Chili ;
« Considère que, pour que le Chili évolue vers une véritable démocratie et vers la paix sociale,
il faut que justice soit dûment rendue sur les cas de violations des droits de l’homme, sur les
disparitions et sur les assassinats survenus au cours de la période de la dictature de Pinochet ».
Donc, la position du Parlement européen à propos de la remise en cause ou de la dénonciation
d’une loi d’amnistie est non-équivoque.
8) La position timorée du Conseil constitutionnel français à propos des lois d’amnistie :
S’agissant des lois d’amnistie, le juge constitutionnel français se manifeste par son
conservatisme. Il nous semble qu’il n’exploite pas suffisamment les engagements internationaux
de la France, afin d’asseoir un contrôle de conventionnalité des lois d’amnistie qui serait
beaucoup plus orienté vers la protection du droit international humanitaire et la répression des
crimes internationaux dans l’ordre juridique français (par exemple, l’affaire Ely Ould Dah ne
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concernait pas un cas typiquement français ou franco-français, parce qu’il s’agissait là d’un
citoyen mauritanien condamné sur le territoire de l’État français, en raison de la compétence
universelle pour des actes de torture ou de barbarie commis sur le sol mauritanien).
Quoi qu’il en soit, dans la Décision du Conseil constitutionnel français n° 89-265 DC du 09
janvier 1990, loi portant amnistie d’infractions commises à l’occasion d’évènements survenus
en Nouvelle-Calédonie : étaient amnistiées « les infractions commises avant le 20 août 1988 à
l’occasion des événements d’ordre politique, social ou économique en relation avec la
détermination du statut de la Nouvelle-Calédonie ou du régime foncier du territoire, par les
personnes mentionnées au deuxième alinéa de l’article 80 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre
1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l’autodétermination de la Nouvelle-
Calédonie en 1998 ». En l’espèce, le Conseil se borne à faire observer « qu’il incombe
simplement au législateur, lorsqu’il exerce son pouvoir d’abrogation de la loi, de ne pas priver
de garanties légales des principes constitutionnels ».
De même, dans la Décision du Conseil constitutionnel français n° 89-258 DC du 08 juillet
1989, loi portant amnistie : les sénateurs auteurs de la saisine estimaient que certaines
dispositions de la loi d’amnistie, « dans la mesure où elles ne se bornent pas à amnistier des
personnes d’ores et déjà condamnées mais entendent faire bénéficier de l’amnistie des
personnes que la justice n’a pas encore jugées, contreviennent à deux principes de valeur
constitutionnelle ; qu’il y aurait violation du principe de la séparation des pouvoirs, car,
l’amnistie avant jugement revient à dessaisir le juge d’un dossier et lèse les intérêts de la partie
civile ; que la présomption d’innocence affirmée par l’article 9 de la Déclaration des Droits de
1789 serait pareillement méconnue pour le motif que l’amnistie avant jugement tend à présumer
coupable tous ceux qu’elle concerne et empêche, en outre, l’inculpé de faire la preuve de son
innocence. ».
Mais, en l’espèce, le juge constitutionnel français ne valide pas cet argumentaire : il prend tout de
même le soin, d’indiquer que « l’amnistie ne préjudicie pas aux droits des tiers ; qu’ainsi les
droits des victimes se trouvent sauvegardés ».
9) La jurisprudence du Conseil constitutionnel sénégalais à propos des lois d’amnistie :
Ce serait une erreur de croire que le juge constitutionnel sénégalais refuserait ou rendrait difficile
l’abrogation des lois d’amnistie. Le professeur Ismaïla Madior Fall a donné récemment l’exemple
de la loi Ezzan. Mais, à notre avis, la loi Ezzan n’est pas un bon exemple. Parce qu’il ne s’agissait
pas d’un cas d’abrogation partielle ou totale d’une loi d’amnistie.
En réalité, la loi Ezzan a fait l’objet de la Décision du Conseil constitutionnel sénégalais n° 1 et
2-C-2005 du 12 février 2005, relative à l’amnistie accordée dans l’affaire Me Babacar Sèye. En
l’espèce, étaient amnistiées de plein droit, « toutes les infractions criminelles ou correctionnelles
commises, tant au Sénégal qu’à l’étranger, en relation avec les élections générales ou locales ou
ayant eu une motivation politique, situées entre le 1 er janvier 1983 et le 31 décembre 2004, que
leurs auteurs aient été jugés ou non ». Étaient également amnistiées de plein droit, « toutes les
infractions criminelles ou correctionnelles commises, tant au Sénégal qu’à l’étranger, en relation
avec le décès de Monsieur Babacar Sèye, magistrat au Conseil constitutionnel, que leurs auteurs
aient été jugés ou non ».
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Dans cette affaire, le Conseil constitutionnel s’est borné simplement à rappeler que, « la loi
d’amnistie n’efface pas la faute civile commise à l’encontre des victimes et des tiers ; qu’elle
conserve son caractère illicite et permet d’obtenir devant les tribunaux la réparation du
préjudice subi ».
Il s’agit donc là, d’une volonté du juge constitutionnel sénégalais de protéger les droits des
victimes et des tiers, nonobstant l’existence de la loi d’amnistie. C’est justement la raison pour
laquelle, dans la même Décision, le Conseil constitutionnel insiste au demeurant, sur le fait que
« la loi ne préjudicie pas aux droits des tiers ».
Certes, en l’espèce, la loi d’amnistie tentait d’apaiser le climat politique et social à travers une
volonté d’oublier certains faits par l’effacement de leur caractère répréhensible ; mais, il
ressortait également de l’examen des travaux préparatoires, notamment de l’exposé des motifs de
la loi Ezzan, la formule suivante que le juge constitutionnel a censurée :
« à la suite d’actes criminels ayant entraîné le décès de Babacar Sèye, Vice-président du Conseil
constitutionnel… l’exploitation de ces actes crapuleux ne fait que réveiller des souvenirs
douloureux pour la famille et les proches du défunt… qui ont le droit… au respect de leur nom,
intimité et dignité ».
Cette tentative maladroite qui consistait à se mettre à la place de la famille des victimes, pour
essayer de prévoir ce que doit être ou non leurs intérêts dans la loi d’amnistie, a été sévèrement
sanctionnée par le Conseil constitutionnel sénégalais, en ces termes : « Considérant qu’en
poursuivant un objectif de protection des intérêts d’une famille et les proches du défunt,
l’article 2 de la loi vise un but différent de celui pour lequel compétence a été conférée au
législateur ; qu’en conséquence, il est entaché de détournement de procédure ».
Conclusion :
Il n’y a pas d’obstacle juridique à la révocation ou à l’abrogation d’une loi d’amnistie.
Même si, au Sénégal, dans le cas de la loi d’amnistie du 6 mars 2024, nous pensons que
l’abrogation totale de ladite loi n’est pas une bonne option (elle n’est pas souhaitable). Parce que,
d’une part, la loi d’amnistie a permis à beaucoup de prisonniers politiques de retrouver la liberté,
y compris le Président de la République Bassirou Diomaye Diakhar Faye et son Premier ministre
Ousmane Sonko. Donc, si la voie de l’abrogation est maintenue par le pouvoir exécutif, il
faudrait qu’elle soit une abrogation partielle de certaines dispositions de la loi d’amnistie, et
non une abrogation totale.
En outre, il convient d’attirer ici l’attention sur le fait qu’en droit, l’abrogation n’est jamais
rétroactive. En effet, par définition, l’abrogation d’une loi d’amnistie signifie sa disparition ou
sa suppression non-rétroactive à la suite d’une décision de l’autorité administrative ou du
pouvoir politique. Donc, si l’exécutif abroge la loi d’amnistie, cela voudrait dire que les effets
passés de la loi d’amnistie resteront inchangés, et ce sont seulement les effets futurs de la loi
d’amnistie qui seront totalement anéantis. Parce qu’en droit, l’abrogation n’est pas
rétroactive : elle vise à supprimer totalement ou partiellement un acte, mais, uniquement
pour l’avenir. Autrement dit, si l’on abroge la loi d’amnistie, les prisonniers politiques ayant
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déjà été libérés par le passé sur le fondement de cette loi, ne seront pas en principe remis en
prison : parce qu’abroger un acte, signifie le supprimer sans effet rétroactif, et donc, sans
toucher à ses effets passés). Tel est le sens authentique de l’abrogation en droit.
Maintenant, si le but recherché par l’exécutif serait de vouloir revenir sur certains dossiers
criminels ou délictuels de certains ex prisonniers qui avaient été libérés sur la base de la loi
d’amnistie, ou si c’est pour juger les crimes ou les délits qui avaient été commis entre le 1 er
février 2021 et le 25 février 2024 quelle qu’en soit les auteurs : il faudrait dans cette hypothèse,
adopter une loi modifiant et abrogeant certaines dispositions de la loi d’amnistie (il nous
semble que ce serait la meilleure option).
Dans un État de droit, l’erreur serait d’en rester à un relativisme de l’impunité des crimes
internationaux, qui, en tout état de cause, serait dangereux pour l’équilibre social.
D’ailleurs, le sens de l’évolution du droit international humanitaire tend progressivement vers la
reconnaissance d’une interdiction absolue des amnisties pour des violations graves des droits de
l’homme (crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crimes de génocide, torture, etc.). Le but
étant d’éviter l’auto-amnistie souvent utilisée par les États voyous, mais aussi et surtout, les
obstacles que le droit interne pourrait poser à l’exercice de la justice pénale.
Au demeurant, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a déjà posé une interdiction
absolue pour ces différents crimes, afin de permettre à ce que des sanctions soient prises à
l’encontre des violations graves aux droits de la personne (arrêt Barrios Altos, entre autres).
D’autant plus que, pour la réparation des préjudices individuels en faveur des victimes : les États
ont le devoir de prévenir, réaliser les enquêtes nécessaires et sanctionner, le cas échéant, les
responsables.
Aujourd’hui, de nombreuses expériences à travers le monde s’orientent vers la remise en cause,
et parfois, vers la révocation de certaines dispositions de lois d’amnistie litigieuses, susceptibles
de porter atteinte au droit international humanitaire, ou aux crimes internationaux, ou aux droits
des tiers. Les exemples slovaques, péruviens, salvadoriens, argentins, chiliens, et même du
Parlement européen, entre autres, en constituent de parfaites illustrations.
Souvenons-nous de l’élégante formule de la CEDH dans son arrêt de 2014, Marguš c/ Croatie : «
[i]l est de plus en plus admis que l’octroi d’une amnistie relativement à des « crimes
internationaux » – qui comprennent les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les
génocides – est interdit par le droit international » (…), sachant que l’on observe une tendance
croissante des juridictions internationales, régionales et nationales à annuler les amnisties
générales édictées par les gouvernements ».
Par Alioune GUEYE Juriste
Contact : aliounegueye2000@gmail.com