Par Adama Gaye*
Il est dérisoire, vain, de vouloir contenir les vagues rageuses d’une marée montante avec les seuls doigts d’une personne.
Depuis une quarantaine d’années, il en est ainsi aussi de la volonté d’instaurer une pensée unique comme ultime, unique, bouclier pour les pouvoirs politiques qui, depuis celui du socialiste et bureaucratique Abdou Diouf, n’ont que cette arme pour masquer leurs lacunes et ce faisant justifier leur pérennisation contre le voeu de la majorité des citoyen.ne.s.
Dès 1993, Diouf avait couvé le mal-nommé journal Le Débat qu’il avait logé à la présidence de la République à seule fin d’y servir de plate-forme d’insultes et de dénigrements de ses adversaires, surtout politiques, avec, à leur tête, Abdoulaye Wade.
Cela n’a pas empêché l’érosion de sa popularité ni freiné l’émergence de médias de plus en plus déterminés à la promotion du pluralisme des idées et de l’information.
La presse privée, dite libre, naquit ainsi au milieu des années 1980 réduisant à néant le projet de pensée unique qui portait la vision que le successeur de Senghor, malgré ses airs et son discours, vêtus d’un habit flamboyant, démocratique, projettait.
La transitorisation, comme elle le fit au temps de la guerre d’Algérie, et l’informatique vinrent en 2000 donner le coup de massue à son régime vermoulu, coupé des réalités du pays, à force de croire qu’il était protégé par ses plumitifs et autres flagorneurs.
La pensée unique n’en trouve pas moins un nouveau souffle malgré l’avènement de Wade, sa victime la plus visible sous Diouf. « Il ne faut pas me poser des questions dérangeantes en public », me souffla-t-il, un tantinet corrupteur, alors que nous échangions devant ses collaborateurs lors d’un Forum de Davos. Avant d’ajouter: « Tu sais, Adama, tu peux tout me dire en privé », peu après l’esclandre, dans un tête-à-tête où il s’imaginait me rallier à sa conception de la démocratie plurielle.
Plus tard, quand il perdit le pouvoir, il fut pris de remords. Chez lui, à Versailles, il ne se retint pas de me demander: « Comment j’ai fait pour perdre les intellectuels ? ». Ce à quoi, la réponse, cinglante le figea : « On ne les écrase pas! ».
En entendant, voici quelques semaines, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, de sa voix nasillarde, plaider pour qu’on le conseille plutôt in-petto et non par des critiques humiliantes en public, mon sang ne fit qu’un tour.
N’avons-nous donc en lui qu’un ersatz, en plus freluquet et frêle, faux timide, du Pape du Sopi ?
Les dictateurs sont les mêmes, toujours à la manœuvre, tacite ou explicite, pour rogner sur les libertés, en s’appuyant sur toutes sortes de subterfuges. Diomaye, dis-le toi, ici, nous sommes en terre de liberté d’expression publique. Le long combat mené pour y arriver ne saurait être soluble dans quelque projet abscons ni patriotisme de mauvais aloi. La politique, c’est le « greasing-pôle », et quand on se retrouve au sommet, la seule attitude qu’il convient d’avoir est d’accepter les critiques fussent-elles acerbes ou même excessives.
Diomaye, le plus vite cette leçon sera sue, en particulier par la gangue issue de l’académie d’insultologues, qui prospèrent à ton ombre, dont un groupe vient d’être officiellement mandaté pour contenir les salves légitimes que suscite l’impéritie de votre pouvoir, déjà à bout de souffle, le mieux ce sera pour le pays.
C’est tragique de vous voir, à votre âge, mettre vos pas sur ceux des praticiens de la pensée unique. Le dernier d’entre-eux aurait dû vous servir d’anti-modèle.
Qui n’a pas noté qu’avant même de se retrouver à la tête du pays, à force de micmacs, Macky Sall, puisque c’est de lui qu’il s’agit, avait à l’aube du magistère de Wade, sponsorisé le journal de triste mémoire « Il est midi », du troubadour Ndiogou Wack Seck, calqué sur une publication ayant été le cœur de l’apologie du génocide Rwandais, le groupe des Mille Collines.
A son accession au pouvoir, conscient de n’être qu’un dictateur sanguinaire et liberticide, pilleur des ressources publiques, Macky Sall n’a eu de cesse de déployer des stratégies pour étouffer les libertés démocratiques.
Les instruments qu’il crée, sans imagination, se résument en des plates-formes de « veille », « ripostes », « réponses », à seule fin de dissuader ses critiques, qu’il fait copieusement insulter et diffamer avant de passer à une phase supérieure, de détentions arbitraires et d’assassinats des empêcheurs de tourner en rond…
La date-charnière, de cette derive, remonte à sa ré-élection frauduleuse de février 2019. Sa conscience troublée, il succombe aisément aux appels répétés à remettre de l’ordre dans le pays que lui lance un faussaire, Malick Sall dit Milouche, qui n’attendait que ce moment de faiblesse.
L’heure sonne en Juin 2019 alors que le monde entier découvre, par une enquête fouillée de la Bbc, par son programme phare de télé, Newsnight, que Macky, son frère, Aliou, et leur comparse, Frank Timis, se sont adjugés 10 milliards de dollars de royalties (6000 milliards de francs cfa) dans le deal le plus crapuleux de l’histoire du Sénégal. Pour tenter de l’enterrer, Milouche, instruit par le Boucher de Dakar, fait lancer une fausse commission d’enquête parlementaire qui se solde par le blanchiment des escrocs. Puis, pour davantage enfumer son monde, il met en place un CosPetroGaz dont la seule utilité est d’institutionnaliser les magouilles sur les hydrocarbures d’un pays hélas entré en malédiction avant que d’en jouir.
C’est alors, pour avoir tiré la sonnette d’alarme, en refusant que les derniers blocs d’hydrocarbures ne soient bradés, à travers un texte publié le 29 juillet 2019 que, trente minutes plus tard, à 5h 30 du matin, au nom d’une pensée unique à exercer sur fond d’une terreur d’Etat et d’une faillite des institutions securitaires et judiciaires, trois coups sonnèrent à ma porte. « Monsieur Gaye, c’est la Dic ».
Il y a 5 ans, dans 5 jours, l’anniversaire de cette volonté d’instaurer une pensée unique, par la capture et la detention illégales d’un homme que le régime moralement décadent de Macky Sall voulait faire taire par tous les moyens, vient rappeler que c’est, de cet instant, que datent les dérives multiformes qui avaient fini par transformer l’ancienne vitrine attractive de la démocratie en repoussoir.
Diomaye, tu es averti: on ne badine pas avec notre label pluriel.
Je serai, pour ma part, un rempart contre la pensée unique !
Adama Gaye* Ex-Otage politique de l’Etat du Sénégal…
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