Il y a 50 ans, l’Inde procédait à sa première explosion nucléaire et entamait ainsi son long chemin vers une affirmation stratégique difficile face aux grandes puissances du Conseil de sécurité de l’ONU. Ce statut a été confirmé avec les larges essais nucléaires de 1998, destinés à contenir l’ascension militaire chinoise.
La chaleur était torride en ce jour de mai 1974, pic de l’été dans le désert du Rajasthan. En cette année, la guerre froide continuait à comprimer le monde entre deux blocs ennemis, dans une atmosphère électrique qui menaçait régulièrement de s’enflammer et laissait peu de marge de manœuvre aux autres puissances. L’arme nucléaire n’était alors officiellement détenue que par le groupe des cinq nations membres du conseil permanent du Conseil de sécurité (États-Unis, Royaume-Uni, France, Union soviétique et Chine), appelées les P5.
C’est dans ce contexte que la Première ministre de l’Inde, Indira Gandhi, décide de prouver les capacités technologiques du pays à sa population et au monde. Le 18 mai 1974, elle ordonne l’explosion souterraine d’une charge atomique de 1 400 kg, sur le site militaire de Pokhran, au Rajasthan. New Delhi présente cet essai comme une « explosion nucléaire pacifique ». Le pays aurait même choisi cette date car c’est le jour de l’anniversaire de la naissance du Bouddha, baptisant cette opération militaire du nom de « Smiling Buddha », le Bouddha souriant.
Les grandes puissances de l’époque, elles, ne voient rien de bouddhiste dans cet essai. La plupart le condamnent, avec plus ou moins de véhémence, car elles le considèrent comme un risque de prolifération nucléaire. Quelques années auparavant, en 1970, le Traité de non-prolifération nucléaire est entré en vigueur, restreignant le droit à l’arme nucléaire aux cinq nations du Conseil de sécurité qui ont réalisé des tests avant 1967, ceci dans le but de réduire progressivement cet armement. L’Inde n’a pas voulu adhérer à ce traité car elle y voyait une discrimination dans l’accès à cette arme de dissuasion.
Le Canada, entre autres, met alors immédiatement fin à sa coopération scientifique dans le domaine du nucléaire civil, qui avait permis à New Delhi de développer cette version militaire. Cela oblige l’Inde à suspendre la construction de deux centrales nucléaires.
Premier pays du Sud à démontrer ses capacités nucléaires
« Il y a eu une incompréhension sur l’objectif de cet essai », affirme Rajiv Nayan, chercheur associé et spécialiste des questions d’armement nucléaire à l’Institut des études de défense et d’analyses (IDSA), un centre autonome financé par le ministère indien de la Défense. « Il s’agissait de démontrer les capacités technologiques de l’Inde à tester un engin explosif nucléaire à fission. L’objectif était donc scientifique et les autorités n’ont jamais parlé de bombe, même s’il n’y a pas de différence technique entre cette explosion et une bombe ».
L’Inde a des raisons de s’armer. À cette époque, le pays faisait déjà face à d’importants différents frontaliers et avait déjà mené trois guerres contre ses voisins. Elle en avait remporté deux contre le Pakistan (1947-1948 au Cachemire et en 1971 pour soutenir l’indépendance du Bangladesh, ancienne province pakistanaise) et perdu une contre la Chine, en 1962, liée au contrôle d’une région frontalière. Le clan des Nehru-Gandhi maintenait toutefois une politique de non-agression et de non-invasion. Les deux premières guerres ont été causées par des incursions pakistanaises et chinoises sur la partie indienne des territoires disputés et la remise en cause du statu quo.
Par cette explosion, l’Inde a brisé le tabou de la prolifération nucléaire en devenant le premier pays du Sud à montrer qu’elle possède l’arme atomique. D’autres, comme Israël, en avaient certainement la maîtrise, mais ne l’affichaient pas.
C’est un réveil soudain et brutal pour les puissances du P5 qui pensaient contrôler ces armes. Ces pays prennent donc de nouvelles mesures. Dès 1974, le club de Londres est formé pour harmoniser leurs politiques d’exportations en la matière et prévenir la prolifération nucléaire. Il sera ensuite rebaptisé « Groupe des fournisseurs nucléaire » (Nuclear Suppliers Group en anglais) pour devenir, encore aujourd’hui, l’une des institutions les plus importantes dans le domaine. En 1978, les États-Unis adoptent aussi une loi sur la non-prolifération nucléaire qui permet de renégocier ses accords bilatéraux concernant les exportations nucléaires.