Libération a pris connaissance de l’enquête du Think Tank citoyen Wathi sur les grossesses
en milieu scolaire sénégalais.
L’adolescence constitue la période de transition entre l’enfance et la vie d’adulte. Il s’agit d’un intervalle de temps évoluant généralement entre 12 et 17 ans. La grossesse pré‐ coce est celle qui survient du‐ rant la période de l’adolescence. Toute grossesse qui intervient avant l’âge de 18 ans est considérée comme précoce. Elle survient à un moment où le corps de la jeune fille n’est pas assez mature pour supporter une grossesse. Il s’agit alors d’une grossesse qui présente des risques pour la santé de la fille et de l’enfant.
En effet, la grossesse précoce peut être considérée comme une anticipation dans la vie adulte. Il s’agit d’une entrée par « effraction » dans le monde des adultes. Les filles‐mères sont appelées à exercer des responsabilités parentales pour lesquelles elles étaient loin d’être préparées.
Les expressions « mariage d’enfant » et « mariage précoce » désignent les unions dans lesquelles au moins l’un des conjoints est âgé de moins de 18 ans dans les pays où l’âge de la majorité est atteint avant le mariage ou au moment du mariage. L’expression mariage précoce peut également ren‐ voyer à un mariage dans lequel les deux époux ont 18 ans ou plus, mais où d’autres facteurs font qu’ils ne sont pas prêts à consentir au mariage, notamment du fait de leur niveau de développement physique, émotionnel, sexuel et psycho‐ logique, ou par manque d’information sur les choix qui s’offrent à eux pour construire leur vie.
Le terme « mariage précoce » désigne une même réalité mais est plus utilise dans le langage courant et renvoie souvent im‐ plicitement au mariage précoce des filles, ces filles étant beau‐ coup plus concernées par le phénomène. On entend par « mariage forcé » tout mariage contracté sans le libre et plein consentement des deux parties dont l’une au moins n’est pas en mesure de mettre un terme au mariage ou de quitter son conjoint, y compris du fait de la contrainte ou de fortes pres‐ sions sociales ou familiales.
Au Sénégal, comme dans la plu‐ part des pays en Afrique, il se pose un problème d’harmoni‐ sation des conventions interna‐ tionales avec le droit interne. En effet, Ainsi l’âge légal peut être entendu comme l’âge minimal exigé par la loi pour se marier. Au Sénégal cet âge est fixé par l’article 111 du Code de la famille qui dispose que: «Le mariage ne peut être contracté qu’entre un homme âgé de plus de 18 ans et une femme âgée de plus de 16 ans ». Pourtant, au regard de la loi, la fille est considérée tou‐ jours comme mineure. La législation par rapport à l’âge légal du mariage n’est pas adaptée aux conventions inter‐ nationales. Mieux, cette législation n’est pas appliquée de manière rigoureuse. En effet, il n’est pas rare de voir des mariages de filles âgées de moins de 16 ans. Dans la législation sé‐ négalaise, le consentement au mariage est l’une des condi‐ tions de fond avec celui du sexe et de l’âge des futurs époux.
Le mariage précoce est imposé aux filles qui se voient ainsi pri‐ vées de leur adolescence. Dès lors, il est important de veiller au respect de l’application du principe de la hiérarchie des normes en ce qui concerne les conventions internationales et travailler à leur insertion dans l’ordonnancement juridique sé‐ négalais. Sédhiou enregistre le plus grand nombre de grossesses précoces
D’après l’exploitation des don‐ nées issues de la collecte, 1971 grossesses ont été recensées. Il s’agit de grossesses qui concernent l’intervalle d’âge entre 12 ans et 19 ans. A l’état actuel des données fournies par l’en‐ quête, la région de Sédhiou est la localité où l’on enregistre la plus grande proportion de grossesses précoces (30%). Les régions de Ziguinchor (19%), Kolda (9%), Matam (6%), Thiès (6%), Kédougou (5%), Saint Louis (5 %) et Fatick (5%) suivent. Au niveau des régions de Kaf‐ frine, Dakar, Diourbel, Louga, Kaolack, le taux se situe entre 4% et 2% par rapport aux don‐ nées recueillies au niveau des établissements.
A l’intérieur des régions, les statistiques obtenues montrent des disparités en fonction des départements. Par contre, pour la région de Ziguinchor, le département de Bignona enregistre le plus grand nombre de grossesses précoces, suivi par le département d’Oussouye.
Il a été particulièrement difficile d’obtenir des informations au niveau des structures sani‐ taires. Dans la région de Matam où les enquêteurs ont pu obte‐ nir des statistiques, les données révèlent une forte fécondité chez les adolescentes.
«Il
convient de souligner qu’il s’agit de statistiques globales qui ne portent pas exclusive‐ ment sur la population scolaire », souligne le rapport qui ajoute : «Du reste, en l’absence de renseignements précis, il est difficile de dégager la part des élèves filles dans ces statistiques. Par contre, ces statis‐ tiques nous renseignent sur la fécondité générale des adolescentes dans cette région ». Ainsi, selon les données four‐ nies par la région médicale, on constate un pourcentage élevé de grossesses et d’accouche‐ ments chez les Adolescentes. Presque 50% des accouche‐ ments sont des adolescentes surtout à Ranérou. Le taux de prévalence des infections sexuellement transmissibles est également jugé élevé (22%). Il ressort des enquêtes que plus de la moitié des grossesses re‐ censées concernent les élèves filles entre la 6 ème et la 3ème soit 71,9 %. 28,1, 3 % des grossesses concernent des élèves qui sont entre la Seconde et la Terminale.
Les enquêtes menées au niveau des écoles montrent que c’est à partir de la classe de quatrième le nombre de grossesse d’élèves apparaît le plus important.
En tenant compte de l’âge, 45 % des grossesses concernent la classe d’âge située entre 16 ans et 17 ans. La classe d’âge située entre 13 ans et 15 ans vient en seconde position avec 31%. Enfin, 24 % des grossesses concernent les filles entre 18 ans et 19 ans. Entre 2011 et 2014, on constate une augmen‐ tation du nombre de grossesses pour la tranche d’âge située entre 13 et 15ans et 18 et 19 ans, par contre une baisse du nombre de grossesses a été notée entre 2012 et 2013 pour toutes les classes d’âge.
Dans les régions de Ziguinchor, Sédhiou, Tambacounda, 60,75% des grossesses concernent des célibataires. Par contre dans les régions de Kaffrine, Thiès, Louga, Diourbel, Fatick, Matam, Saint Louis, Kaolack, les filles mères sont constituées en général de filles mariées. «49,67% des cas de grossesses sont l’œuvre des élèves, es étudiants arrivent en seconde position… » Selon les résultats issus des fiches d’enquêtes exploitées, 49,67% des cas de grossesses sont l’œuvre des élèves. Les étudiants arrivent en seconde position parmi les auteurs de grossesses avec un pourcen‐ tage de 12,6%. Les jeunes des vil‐ lages sont également cités parmi les principaux auteurs de grossesses d’élèves avec 8,68%.
Ainsi, les élèves, les étudiants et les jeunes du village constituent 70,95% des auteurs de gros‐ sesses. Dans beaucoup de loca‐ lités, les conducteurs de moto Jakarta, les chauffeurs de taxi sont cités parmi les auteurs de grossesses. Les enseignants re‐ présentent 2,09% des auteurs de grossesses.
Les enquêtes effectuées dans de nombreuses localités auprès des chefs d’établissement, inspections de l’éducation et de la formation révèlent que les chif‐ fres avancés sur le nombre d’enseignants auteurs de gros‐ sesses est souvent exagéré. Selon le principal du Cem Dioul‐ lacolon à Kolda, « les cas ne manquent pas, mais, ils sont rares. Depuis que je suis à la tête de ce Cem, il ne m’a pas été rapporté un cas de grossesse impliquant un enseignant ». Néanmoins, lors des focus groups, le corps enseignant est très souvent accusé par les élèves d’être à l’origine des grossesses d’élèves. Ces diver‐ gences dans les réponses four‐ nies portant sur la responsabilité des enseignants dans les grossesses d’élèves, appelle une réflexion. Selon, Amadou Baldé, président des parents d’élèves à Bata : «Souvent, les jeunes filles
contractent une grossesse ailleurs et auprès d’autres personnes et cherchent coûte que
coûte à faire porter la responsabilité aux enseignants qui , financièrement semblent plus
solvables. Mieux, certains parents font beaucoup plus
preuve d’une certaine compréhension lorsque c’est un enseignant qui est désigné comme auteur de la grossesse de leur fille. Une grossesse dont l’au‐ teur est un enseignant paraît moins déshonorant pour la fille».
Dans toutes les localités enquêtées, les grossesses précoces sont considérées comme une préoccupation majeure.
En effet, les différents responsables scolaires (inspecteur d’aca‐ démie, inspecteurs de l’éducation et de la formation, chefs d’établissement) sont conscients que les grossesses précoces sont un problème so‐ cial et scolaire. Toutefois, il a dé‐ ploré l’absence d’un dispositif systématique de recueil des données. En effet, chaque année, des élèves quittent définitivement l’école ou interrompent provisoirement leurs études. Selon des chefs d’établissement, généralement, c’est en début d’année scolaire qu’on constate des absences d’élèves filles. Très souvent, après renseignement, il s’avère que cela est dû à une grossesse. Selon, la responsable du bureau genre de Vélingara, «la situation est alarmante parce que nous sommes face à une situation où nous sommes en face de jeunes filles qui peuvent pas se prendre en charge ni sur le plan émotionnel ni financier ».