La suspension de l’aide publique américaine doit être vue comme une opportunité pour réfléchir à des financements domestiques dans le secteur de la santé, surtout contre les risques de résurgence du VIH/ SIDA au Sénégal, affirme Dr Safiatou Thiam, secrétaire exécutive du Conseil national de lutte contre le Sida (CNLS).
‘’Cette décision est une alerte qui doit être prise comme une opportunité de réfléchir à des financements domestiques, une occasion pour nous de voir dans quelle mesure pérenniser les acquis de notre riposte’’, a-t-elle dit dans un entretien avec l’APS.
Dès son entrée en fonction le 20 janvier dernier, le Président américain Donald Trump a suspendu des centaines de millions de dollars de dons d’aide étrangère pendant 90 jours, paralysant de nombreux secteurs économiques dans le monde, notamment la santé et particulièrement la lutte contre le VIH/Sida dont les activités ont été suspendues, y compris au Sénégal.
Face à cette situation, le Safiatou Thiam prévient qu’‘’il y a un grand risque de résurgence du VIH’’. Le monde est un village globalisé, a-t-elle rappelé, relevant que ces risques ne concernent donc pas seulement le Sénégal, mais aussi le monde entier.
Elle a toutefois rappelé que la lutte contre le VIH/Sida au Sénégal a eu de bons résultats qu’il faut pérenniser en définissant les priorités d’investissement dans le cadre de la santé de manière générale.
‘’Il faut faire en sorte que ces priorités d’investissement soient prises en compte avec des ressources nationales, cela peut être le budget de l’État, des partenariats qu’on met en place avec le secteur privé ou en tout cas des financements innovants qu’il faut amener’’, a t-elle précisé.
L’exploitation des recettes des hydrocarbures pour la souveraineté sanitaire
Elle a rappelé les opportunités liées à l’exploitation des recettes issues des hydrocarbures au Sénégal, pour concrétiser la souveraineté sanitaire prônée par le Premier ministre, Ousmane Sonko.
‘’ Notre rêve serait qu’une partie, peut-être, des ressources pétrolières (..) soit allouée justement à la santé dans notre pays. Donc, ce sont des décisions comme ça qu’il faut prendre pour vraiment avoir cette souveraineté sanitaire’’, a indiqué la secrétaire exécutive du CNLS.
La suspension de l’aide humanitaire américaine dans la lutte contre le SIDA a eu des répercussions directes sur les travailleurs sénégalais impliqués dans certains projets financés par l’USAID, l’agence américaine pour le développement international, premier pourvoyeur mondial d’aide humanitaire.
Considéré comme un partenaire stratégique au Sénégal depuis 1961, l’USAID intervient dans de nombreux programmes de santé, en plus de la lutte contre le VIH, comme la lutte contre le paludisme, la tuberculose, pour le renforcement du système de santé et de la santé maternelle et néonatale.
‘’Dans le court terme, l’impact de la suspension des financements américains va surtout toucher les travailleurs de ces programmes-là, à qui on a demandé d’arrêter. Donc, ce sont des pères et des mères de famille, qui certainement n’auront pas de salaire pendant trois mois », a révélé Safiatou Thiam qui a tenu à exprimer la solidarité du CNLS à leur égard.
D’après le rapport annuel du CNLS, en 2021, près de 73,5 % des ressources consacrées à la lutte contre le sida proviennent de donateurs étrangers. Pour la mise en œuvre des programmes de lutte contre le Sida, le CNLS a mobilisé en 2022 , un financement global de plus de 6,2 milliards de FCFA, dont 4,8 milliards du Fonds mondial et 1,2 milliard représentant la contrepartie de l’Etat du Sénégal.
Des craintes sur la distribution des ARV si le retrait de l’aide américaine se prolonge
Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme (Fonds mondial) et le Plan d’urgence présidentiel de lutte contre le Sida (PEPFAR), constituent les principaux bailleurs de la riposte au VIH/Sida au Sénégal.
Le PEPFAR est financé à plus de 5 milliards de FCFA par an au Sénégal, selon la secrétaire exécutive du CNLS.
Mme Safiatou Thiam a toutefois exprimé ses craintes dans le long terme face à l’arrêt de toutes les activités liées à la lutte contre le VIH, financées par l’aide américaine malgré la ‘’dérogation humanitaire d’urgence’’ accordée par le Département d’État américain, qui permettra aux personnes de continuer à accéder au traitement du VIH.
‘’Dans le long terme, il faut vraiment craindre pour tous les pays, y compris le Sénégal. Parce que nous sommes financés à 50% par le Fonds mondial pour l’achat des antirétroviraux (ARV), qui lui-même est financé par l’aide américaine. Donc, si l’arrêt se prolonge, il y a un risque pour le Fonds mondial et donc un risque direct sur les ARV au Sénégal’’, a-t-elle expliqué.
L’Agence des Nations unies chargée de la lutte contre VIH/Sida (ONUSIDA) avait déclaré, il y a quelques jours, qu’il y a ‘’beaucoup de confusion, en particulier dans les communautés, sur la manière dont la dérogation sera mise en œuvre’’, même si elle devrait permettre à 20 millions de personnes vivant avec le VIH et dont le traitement dépend de l’aide américaine de continuer à prendre leurs médicaments.
Au Sénégal, l’on estime à 41 560 le nombre de personnes vivant avec le VIH. La prévalence au sein de la population générale de 15 à 49 ans est de 0,31%. Selon le Dr Safiatou Thiam, ce taux est certes faible au niveau national, mais élevé pour les groupes très à risque, dont les professionnels du sexe ( 5,8% en 2019), ou encore les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (27,6% en 2017).
Résurgence de nouvelles infections à VIH chez les jeunes
»L’USAID nous permettait justement d’intervenir pour la prévention et la prise en charge auprès de ces groupes à risque’’, a-t-elle relevé, évoquant de nouvelles infections à VIH chez les jeunes.
‘’Depuis quelques années, nous voyons que les nouvelles infections sont en train de revenir à travers les jeunes, mais aussi à travers la transmission mère-enfant du VIH’’, a soutenu Safiatou Thiam. Selon elle, le CNLS avait prévu d’intensifier ses programmes de prévention pour améliorer l’information et la communication en direction des jeunes.
Toutefois, des mesures ont été prises par la division Sida du ministère de la Santé depuis l’annonce du gel de l’aide publique américaine. Elle est en train ainsi de travailler sur un plan de contingence sur trois mois, a annoncé Mme Thiam.
‘’Quatre-vingt-dix jours, c’est tenable, mais on reste dans une expectative ouverte ou active pour, justement, nous préparer à une éventualité d’un arrêt définitif’’, a indiqué la secrétaire exécutive du CNLS.