Tout sur la nouvelle affaire Kardiata Tandian
Déjà sous contrôle judiciaire après son arrestation en 2022, l’ancienne cheffe du service ju‐ ridique et partenariat de l’Asepex a récidivé. Et ce n’est pas la première fois que le Premier ministre Ousmane Sonko est victime de ce genre de pratiques frauduleuses. Nos révélations.
Chassez le naturel, il revient au galop. Courant décembre 2022, le ministère des Affaires étrangères avait alerté la Division des investigations criminelles (Dic) sur un trafic de passeports de service dont les bénéficiaires avaient déposé des demandes de visa à l’ambassade des Etats‐Unis à Dakar. Les recoupements, effectués auprès des américains, avaient permis de confirmer, que les candidats avaient aussi déposé des ordres de mission et des notes verbales qui s’étaient révélés faux après vérification. En collaboration avec l’ambassade des Usa, qui avait prié les concernés de venir récupérer leurs passeports, le Groupe de recherches et d’interpellations (Gri) de la Dic avait mis en place une souricière au sein même de la représentation diplomatique. Tour à tour, les policiers en civil avaient arrêté Aminata Dramé (informaticienne), Adama Babou (chef d’une unité départementale des Asp), Ibrahima Ndiaye (tailleur), Guido Diallo (chauffeur), Chérif Ndiaye (commerçant), et Aliou Camara (marchand ambulant). Interrogés sommairement, ils avaient tous déclaré avoir été démarchés pour le compte de Kardiatou Tandian alors cheffe du service juridique et partenariat de l’Asepex, cueillie le même jour. Les candidats au voyage avaient révélé que c’est cette dernière qui avait effectué toutes les démarches pour l’obtention des passeports de service ainsi que des faux ordres de mission et notes verbales sur lesquels les candidats étaient présentés comme des directeurs généraux de sociétés nationales devant se rendre à un forum en marge du sommet Afrique‐France. En contrepartie, ils avaient, chacun, payé à Khardiatou Tandian la somme de 5 millions de Fcfa.
Interrogée sous le régime de la garde à vue, Khardiatou Tandian, juriste de formation, était passée aux aveux. En sa qualité d’agent de l’Etat, en service à l’Agence sénégalaise pour la promotion des exportations (Asepex) comme cheffe du service juridique et partenariat, elle avait confessé connaitre tout le circuit des ordres de mission et notes verbales, qu’elle confectionnait à partir de sa machine de bureau.
Puis, elle montait un dossier pour ses candidats en vue d’obtenir un passeport de service, selon ses aveux. Ecrouée dans le cadre de cette affaire, Khardiata Tandian était sortie de prison en juin 2023 après avoir été placée sous contrôle judiciaire par le juge du deuxième cabinet. Relevée de ses fonctions à l’Asepex, Khardiata Tandian, âgée aujourd’hui de 37 ans, s’était faite oublier jusqu’à revenir en première ligne de l’actualité judiciaire à cause des mêmes pratiques.
Le faux dans le sang
Le 3 mars dernier, par lettre datée du même jour, l’administrateur du Fonds d’appui à l’investissement des Sénégalais de l’extérieur (Faise) a reçu une lettre de recommandation présumée écrite, signée et cachetée par le Premier ministre, Ousmane Sonko. La lettre présentait Khardiata Tandian comme un soutien actif de Pastef qui aurait même décliné le poste de ministre de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères pour des «raisons personnelles ».
Dans la même missive prêtée au chef du gouvernement, l’administrateur du Faise est instruit, de recruter, avec «effet immédiat», Khardiatou Tandian comme conseillère spéciale et directrice de l’appui à l’investis‐ sement et aux projets. Vérification faite par Khourechi Thiam auprès du Premier ministre, il s’est trouvé que le chef du gouvernement n’a jamais écrit cette lettre truffée de louanges envers Khardiata Tandian. Les coordonnées de cette dernières jointes à la lettre, Khardiata Tandian a été priée de venir au Faise pour la suite. Ne se doutant de rien, elle a été cueillie sur place par la Dic qui avait déjà investi les lieux.
Interrogée sommairement, Khardiata Tandian a juré qu’elle ne savait rien de la provenance de la fameuse lettre, même si son nom et son numéro de téléphone y figuraient. Malgré un deuxième interrogatoire, elle a campé sur sa position. N’empêche, deux éléments sont venus la confondre formellement. D’abord, en exploitant les images de la vidéo surveillance du Faise, Khardiatou Tandian a été identifiée quand elle venait elle‐même déposer la lettre le 3 mars à 14 heures 30 en se faisant passer pour «Madame Ba de la Primature », selon les révélations de Sathioro Keita, l’agent du Faise qui a réceptionné la fameuse lettre. Ensuite, la perquisition au domicile de la mise en cause, situé à la Sicap rue 10, a permis mettre la main sur les habits qu’elle portait ce jour‐là. Mise devant les faits, Khardiatou Tandian est passée aux aveux.
Les aveux d’un duo qui «travaille » ensemble depuis 2021 Elle a révélé avoir écrit et im‐ primé elle‐même la lettre. Pour le faux tampon de la Primature, Khardiata Tandian a confessé l’avoir commandé à «Cachet express », un multiservices géré par Chérif Zeynil Sy, domi‐ cilié à Golf Sud. Intercepté à son toutr, Sy, âgé de 40 ans, a d’emblée fait semblant de ne pas connaître Khardiata Tan‐ dian. Problème : l’exploitation du téléphone de cette dernière a attesté, via plusieurs échanges, qu’elle «travaillait» avec Chérif Zeynil Sy depuis 2021. Face à cette vérité tech‐ nique, Chérif Zeynil Sy est, à son tour, passé à table. Il a avoué, par exemple, avoir confectionné, en janvier 2025, plusieurs cachets à Khardiata Tandian dont des bons de com‐ mande portant entête de la Présidence. Si Khardiata Tan‐ dian s’est montée si téméraire c’est parce qu’un charlatan, mis au courant de la fraude en cours en cours et activement recherché, lui avait assuré que la manoeuvre allait prospérer.
Une affaire en cache une autre pendante devant la justice
A vrai dire, cette affaire, sur la‐ quelle nous reviendrons plus largement, est la deuxième du genre depuis la nomination du leader de Pastef au poste de Premier ministre. Courant août 2024, les services de renseigne‐ ment avaient intercepté une fausse lettre de recommanda‐ tion portant le cachet de la Pri‐ mature et la supposée signature du Premier ministre Ousmane Sonko. Dans cette lettre, les nommés Serigne Mbaye, Safiatou Sy, El hadji Mamadou Diallo et Mohammed Aly Bamanka se faisaient passer pour des émissaires du chef du gouvernement et, de par ce subterfuge, ils avaient réussi à être reçus par le ministre des Affaires étrangères de la Lybie.Après vérification au‐ près des services de la Prima‐ ture, il a été révélé que la lettre n’émanait pas d’eux. De suite, la Dic, actionnée par le ministère de l’Intérieur, avait transmis une opposition au commissariat spécial de l’Aibd en vue d’interpeler les mis en cause dès leur retour de voyage. Lors des formalités à l’arrivée du vol Tu 841 de la compagnie « Tunis Air », en date du 23 août 2024, le système Securiport avait intercepté Serigne Mbaye et Safiatou Sy. Ces derniers avaient été automatiquement cueillis et acheminés au siège de la Dic.
Lors de son audition, sous le régime de la garde à vue, Serigne Mbaye, qui se présentait comme un militant de Pastef, avait renseigné qu’il travaillait avec des influenceurs sur les réseaux sociaux. Depuis 2021, il a soutenu être établi à Dakar, aux côtés de son oncle, un res‐ ponsable de Pastef. Il a reconnu avoir effectué un voyage d’affaires en Lybie, en compagnie de Safiatou Sy, El hadji Mamadou Diallo et Mohammed Aly Bamanka. Il a ex‐ pliqué que c’est Safiatou Sy qui a organisé le voyage en Libye et a pris en charge les frais. D’après lui, il ignorait l’origine de la lettre incriminée. Entendue, Safiatou Sy s’était aussi présentée comment une militante de Pastef. Elle avait expliqué qu’une de ses connaissances du nom de Fany, résidant en Belgique, l’avait contactée un jour pour l’informer de ce que le Premier ministre libyen cherchait à collaborer avec le gouvernement sénégalais. Sautant sur l’occasion, elle en avait parlé à son ami nigérian Mohammed Aly Bamanka, lequel était chargé d’organiser le voyage. Après avoir choisi les membres de sa délégation, les démarches pour le visa avaient été effectuées par le Nigérian qui était venu rejoindre l’équipe à Dakar, à la date du 17 août 2024, avant de partir avec elle en Lybie.
En raison de son calendrier chargé, le Pm de la Lybie avait chargé le ministre des Affaires étrangères de recevoir la délé‐ gation. Elle a rapporté que les échanges ont porté sur les projets de développement au Sénégal et le panafricanisme incarné par le Premier ministre, Ousmane Sonko.
D’après elle, c’est une fois en Lybie qu’elle a découvert la let‐ tre incriminée. A cet effet, elle a affirmé que le Nigérian Bamanka lui avait avoué que c’est grâce à cette fausse lettre qu’il a obtenu l’audience. Ainsi, elle avait attribué la paternité de la lettre au Nigérian.
Interpellée, sur la position de ses autres acolytes, elle avait déclaré qu’El hadji Mamadou Diallo était à Paris et avait ajouté ne pas connaître la posi‐ tion de Bamanka, qu’elle avait laissé dans leur l’hôtel en Lybie. Le 24 août 2024, lors des for‐ malités d’arrivée du vol Tk 504 de la compagnie « Turkish Air lines », El hadji Mamadou Diallo avait été cueilli à l’Aibd. Lors de son audition, il avait dit avoir été contacté par Safiatou Sy, qui lui avait parlé d’un projet de voyage en Lybie, pour discuter avec les autorités sur une pers‐ pective de collaboration avec le Sénégal, au nom du Premier ministre Ousmane Sonko. Il avait précisé que pour le convaincre, la dame lui a fait croire, avoir eu l’aval du Pm Ousmane Sonko. El Hadji Ma‐ madou Diallo avait expliqué que c’est Safiatou Sy qui avait organisé le voyage mais il avait acheté personnellement son billet d’avion. Le dossier est toujours pendant devant la Jus‐ tice.
CM