Avec une population de 70 000 habitants, Bargny est aujourd’hui en danger. Coincée entre le marteau des cimenteries et l’enclume de la mer qui avance de 3 à 4 mètres par an, cette localité est menacée par une pollution excessive d’une centrale à charbon.
Il est 11 heures passées de quelques minutes. Nous avons rendez‐vous avec Daouda Guèye, le président du Réseau des associations pour la protection de l’environnement et la nature. C’est Minam, le quartier le plus proche de la centrale à charbon qui nous ac‐ cueille. Ici, la fumée provenant de l’industrie attaque les yeux des visiteurs. L’air est opaque donnant l’impression d’un brouillard. Les bâtiments sont recouverts d’une couche de suie et de poussière. A peine arrivé sur le lieu de rendez‐vous, notre interlocuteur lance : « Cette centrale, si on prend l’historique, c’est vers 2008, lorsque le Sénégal était confronté à des problèmes d’électricité, parce qu’on avait une puissance de 500 Mw. L’Etat du Sénégal avait choisi d’avoir une énergie à partir du charbon qui était moins cher. Donc, ils ont décidé d’avoir une centrale électrique. Mais cette centrale électrique, elle est plutôt indépendante, c’est‐à‐dire qu’elle vendra de l’électricité à la Senelec. Maintenant, on a
voulu l’installer, mais malheureusement, la première erreur a été le site où on devait instal‐ ler la centrale, parce que normalement, les centrales à charbon sont des établisse‐ ments de classe 1, qui devaient être loin des habitations de 500 mètres, des lieux recevant du public et même des cours d’eau. Donc, ils ont choisi de la mettre au cœur de Bargny, au cœur des activités des femmes transformatrices qui font la transformation des produits halieutiques. Et là, ça a été la première contestation, c’est‐à‐ dire qu’on n’a pas respecté la loi sénégalaise pour installer une centrale électrique aussi pol‐ luante. Et c’est là que le combat a commencé mais l’Etat a mobilisé les forces de l’ordre. C’est pourquoi nous avons porté plainte au niveau des systèmes de sauvegarde de la Banque africaine de développement (Bad) et aussi du Fmo qui avait financé le projet. Lorsque nous avons porté plainte, on a sorti neuf éléments dont l’emplace‐ ment de la centrale et la pollution que la centrale crée au niveau du bassin atmosphérique de Bargny», a laissé entendre Daouda Guèye.
Khelcom, le site de transfor‐ mation des produits halieutiques ou les femmes cohabitent avec le danger
Pour constater de visu, la réalité sur le terrain, nous avons effectué une descente à Khelcom. C’est le site de transformation de produits halieutique. Dans cet endroit, plus de mille femmes cohabitent tous les jours avec l’air polluée de la cen‐ trale. Aujourd’hui, certaines d’entre elles sont victimes de maladies respiratoires comme la tuberculose. Au‐delà, leurs revenus ont baissé drastiquement. «On a vu nulle part dans le monde une centrale à charbon installée au cœur d’une communauté. On n’a pas d’au‐ tres activités que la transformation des produits halieutiques. Les hommes vont à la pêche, nous sommes les transformatrices. Entre Minam, Bargny et Sendou, il y a beau Mise en page 1
coup de personnes qui souf‐ frent de maladies respiratoires. Du côté économique, social, et sanitaire, la centrale nous a causé beaucoup de problèmes et on sera toujours debout pour dire non », peste Fatou Samba, la présidente des femmes transformatrices du site de Khelcom.
«Pour les femmes transforma‐ trices, actuellement, on est en train de voir comment faire des analyses médicales pour voir de quoi elles souffrent réellement car elles ont des maladies pulmo‐ naires, elles ont des problèmes de respiration. Donc, il faut vrai‐ ment que l’on trouve une solu‐ tion par rapport à ces femmes, parce qu’elles ne peuvent pas co‐ habiter avec la centrale. Au‐ jourd’hui, il y a beaucoup de problèmes qui se posent, et là, ça fait des impacts qui sont très né‐ gatifs », confirme Daouda Guèye avant d’ajouter : «Au niveau du bassin atmosphérique de Bar‐ gny, la pollution dépassait les 400% de la norme sénégalaise. Et là, il y a la pollution atmo‐ sphérique, il y a la pollution des eaux, parce que les centrales sortent beaucoup d’eau, qui sont polluées. Et en même temps aussi, la centrale n’a pas respecté toutes les normes ».
La mer polluée, la pêche à l’agonie
Comme les femmes transfor‐ matrices, les pêcheurs sont aussi impactés. « Nous en avons marre de cette centrale à charbon. Bargny qui était jadis une zone de reproduction pour les poissons est devenue une zone sans poisson et cela est dû à l’implantation de la centrale. Avant, on parvenait facilement à avoir des bons poissons, ce qui n’est plus possible. L’air est très pollué. L’exemple que je vais vous donner c’est que par‐ fois quand vous êtes en haute mer, il y a un vent qui souffle et il attaque directement nos yeux. Cela provient de cette centrale à charbon », témoigne Moustapha Diop, un pêcheur trouvé assis sur ses filets, fixant d’un regard impuissant la mer. Aujourd’hui, Bargny a vraiment perdu ses belles plages mais aussi la verdure avec des plantes qui poussaient un peu partout car tout est pollué.
Le maraichage devient im‐ possible
Les cultures ne sont pas épar‐ gnées. « Je pratiquais la culture du gombo mais depuis quelques temps, elle est deve‐ nue impossible car la terre est polluée avec la centrale à char‐ bon. Sinon, ceux qui arrivent à cultiver ne parviennent pas à écouler leurs produits car au marché, personne n’ose ache‐ ter notre gombo. Ils disent sou‐ vent que c’est le gombo de la centrale.
Vous pensez que cela est normal ?
Cela fait mal au cœur », nous dit Fatou Bintou Gaye, habitante à Bargny Guedj.
La combinaison de tous ces maux pousse Alexandre Guibert Lette, directeur exécutif de Terranga Lab, par ailleurs dé‐ fenseur de l’environnement, à asséner : « En tant qu’organisa‐ tion, nous alertons depuis quelques années en partenariat avec les communautés locales. Ce qui se passe à Bargny est le résultat de plusieurs tragédies.
A Bargny, on a les effets de la pollution de Sococim depuis plusieurs décennies. Il y a l’avancée de la mer, mais il y a aussi l’installation de la centrale à charbon. Les communautés se battent depuis plusieurs an‐ nées pour lutter contre l’installation de cette centrale. Aujourd’hui, force est de recon‐ naître qu’il faut changer de stratégie de combat pour pouvoir aller au bout. Les décideurs po‐ litiques et publics ont aussi intérêt à clarifier leur position, d’autant plus que le Sénégal a un nouveau gouvernement, une nouvelle génération au pouvoir. Par le passé, ils avaient déjà pris position sur le pro‐ blème de la centrale à charbon. Nous attendons qu’ils mettent cela en pratique. Les gens ne veulent pas de cette centrale à charbon. Le Sénégal a beau‐ coup de potentiel en matière d’énergies renouvelables, mais aussi en matière d’énergies fossiles, d’hydrocarbures… Nous avons du gaz, nous avons du pétrole, cela a déjà commencé avec Sangomar.
Que va‐t‐on faire d’une centrale à charbon ?
D’autant qu’il est scientifiquement prouvé que c’est l’une des sources d’énergie les plus polluantes. Comment peut‐on accepter un tel projet dans une communauté déjà si vulnérable ? », s’est interrogé le directeur exécutif de Terranga Lab. Daouda Guèye en rajoute une couche : « Au début, il n’y avait pas de plan de gestion environnementale et sociale. L’Etat du Sénégal avait donné le quitus au promoteur de la centrale alors qu’on devait avoir un plan de gestion environnementale et sociale. C’est après qu’ils ont rectifié, lorsque nous avons porté plainte.
La justice pour arbitrer
Après avoir mobilisé toutes les forces vives de Bargny et des défenseurs de l’environne‐ ment, le Réseau des associa‐ tions pour la protection de l’environnement et la nature a fait un recours au niveau de la Cour suprême. «On a donné tous les éléments qui montrent que l’Etat du Sénégal ne devait pas autoriser l’installation de cette centrale. Et le verdict sera donné le jeudi, au niveau de la Cour suprême. Nous espérons que la loi sera dite, pour qu’en fin de compte, on puisse arrêter cette centrale. Et en plus, le Sé‐ négal s’est engagé au niveau de l’accord de Paris », confie Daouda Guèye.