RAPPORT DE L’IGF SUR LE PRODAC : La Brigade des affaires générales débute ses auditions, un carnage financier au cœur de l’enquête

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La Brigade des affaires générales (Bag) de la Division des investigations criminelles (Dic) a
débuté ses auditions dans l’affaire Prodac. Libération revient encore sur les grandes lignes
du rapport de l’Inspection générale des Finances (Igf) à l’origine de la plainte avec constitution de partie civile déposée par l’agent judiciaire de l’Etat.

Libération révélait en exclusivité que le fameux rapport de l’Inspection générale des finances (Igf) sur
la gestion du Programme des domaines agricoles commu‐ nautaires (Prodac) avait été transmis à la Division des inves‐ tigations criminelles (Dic). Ce, à une plainte de l’agent ju‐ diciaire de l’Etat qui s’était constitué partie civile.
Selon nos informations, l’enquête a été confiée à la Brigade des affaires générales (Bag), une entité de la Dic logée au Pa‐ lais de Justice. D’ailleurs la Bag a débuté ses auditions. A preuve, Khadim Ba, directeur général de Locafrique, a été ex‐ trait de prison et entendu hier. Face aux enquêteurs, le bailleur du projet a indiqué, entre autres, que c’est lui‐même qui a lancé l’alerte après avoir découvert des factures suspectes. Une chose est sûre : l’Igf a mis à jour un vaste carnage financier. Dans leurs conclusions, les enquêteurs ont demandé, au moins, l’ouverture de deux informations judiciaires


Selon les vérificateurs, le prix global du projet est estimé à 26,6 milliards de Fcfa, «un coût du reste onéreux au regard surtout de l’impossible atteinte confirmée par tous les acteurs de l’objectif stratégique de création massive d’emplois (qui a) suscité des soupçons de surfacturation de la part du bailleur ». En effet, en croisant les prix de Green 2000 à ceux vala‐ bles sur le marché, Locafrique avait mis en cause plusieurs écarts, confirmés d’ailleurs sur le terrain. N’empêche, avec la complicité des anciens dirigeants du Prodac, Green 2000 avait empoché la somme de 15 milliards de Fcfa viré dans un compte ouvert à Hapolim Bank, en Israël, donc hors du contrôle de l’Etat. Pour limiter les dégâts, l’Igf avait recommandé la suspension immédiate des paiements. 15 milliards de Fcfa virés en toute illégalité dans un compte logé en Israël De plus, elle écrivait :

«Au vu du coût global du projet, il importe d’ores et déjà, ne serait‐ce que pour sauvegarder les intérêts de l’Etat, d’apporter les correc‐ tifs nécessaires. Pour rappel, si le projet Green 2000 est pour‐ suivi, il devrait coûter à l’Etat du Sénégal la bagatelle de 36,5 mil‐ liards de Fcfa comme le montre le calendrier des remboursements (…). S’il y a autant de manquements dans la mise en œuvre du projet Green 2000 c’est parce que le Prodac n’a pas correctement exécuté les tâches de contrôle attendues de lui par notamment la mise en place d’un dispositif approprié à cet effet qui aurait permis d’amener son cocontractant à s’acquitter de ses obligations contractuelles. Ainsi, non seulement ce travail de contrôle n’a pas été d’office effectué mais même informé des nom‐ breuses violations de Green 2000, le Prodac n’a pas su apporter les correctifs idoines. Les lettres d’alerte du financier (ndlr, Locafrique) n’ont pas eu le traitement adéquat requis en l’espèce du Prodac qui, nonobstant cela a continué à valider les demandes de paiement sans aucune vérification préalable.

(…) Cette inaction du reste for‐ tement préjudiciable aux intérêts de l’Etat est consécutive d’une faute de gestion ». «Les lettres d’alerte du financier (ndlr, Locafrique) n’ont pas eu le traitement adéquat requis en l’espèce du Prodac»
L’Igf signalait ainsi que sans la moindre vérification 12,6 milliards de Fcfa ont été ainsi décaissés au profit de Green 2000.
Or, d’après les vérificateurs, ce montant n’intègre pas pour autant les factures non encore honorées à l’époque et éva‐ luées à tort à 5,3 milliards de Fcfa. Ainsi, le cumul des mon‐ tants déjà virés avec ceux objet des factures en instance ferait au total 17,2 milliards de Fcfa alors que la mise en parallèle des prestations exécutées avec le niveau d’exécution physique est d’autant plus essentielle qu’à titre illustratif pour le site d’Itato, Green 2000 a présenté deux factures dont le cumul fait 3,4 milliards de Fcfa dont 1,2 milliard déjà perçu au titre de l’avance de démarrage alors que les études ne sont même pas disponible. Pire, aucun équipement n’est encore livré et il n y aucun début de travaux. D’où l’interrogation de l’Igf qui se demandait en vertu de quoi cette facture a été émise par Green 2000 et validée par le Prodac.
Au niveau du Dac de Keur Samba Kane également la situation était quasiment similaire sauf qu’en l’espèce on assiste à une inversion des procédés. En effet pour ce Dac, Green 2000 a procédé, au vu du rapport du cabinet Soned Afrique de mars 2018, à la livraison de 15 containers dont 9 pieds de 40 et 6 pieds de 20. «Cette livraison intervenue sur le site alors même que les études ne sont pas disponibles est difficilement compréhensible. Pire, même les réceptacles devant servir d’abris aux containers pour une meilleure sauvegarde de la qualité des équipements ne sont pas en‐ core réalisés. Interrogé sur cette situation anachronique, Daniel Pinhassi de Green 2000 a prétexté un retard de paiement.

Quoiqu’il en soit cette anticipation injustifiée mérite une attention particulière pour éviter que l’Etat, du fait de la carence de son contractant se retrouve dans une situation complexe », écrit l’Igf. Qui dé‐ crète: «Au total, mis à part les Dac de Séfa et de Keur Momar Sarr qui connaissent un niveau d’avancement acceptable compte non tenu des modifica‐ tions substantielles à évaluer, les Dac d’Itato et de Keur Samba Kane peinent encore à démarrer. Cette situation nécessite en guise de mesure conservatoire un travail technique préalablement à tout autre décaissement de la part du financier. Cela est d’autant plus nécessaire que l’essentiel des virements ont été opérés dans un compte de Green ouvert dans une banque israélienne sur laquelle l’Etat peinera à exercer quelque pression que ce soit ».
Un contrat saccagé
Pourtant, l’alinéa 2 de l’article du contrat technique entre Green 2000 et Prodac prévoyait l’obligation pour la société de soumettre au projet, au moins 14 jours avant la première demande de paiement, une liste des valeurs des ouvrages constituant au total le montant du contrat de façon à faciliter l’évaluation des demandes de paiement. Cette situation de‐ vait permettre de disposer de références à partir desquelles s’opère l’appréciation des demandes de paiement. «En pratique, cette situation n’a jamais
été produite par Green 2000 et rien n’a été fait par le Prodac pour l’y amener. Mieux, il est fait obligation à Green 2000 d’inclure dans chaque demande de paiement une déclaration basée sur la liste des
valeurs; les demandes concernant les produits livrés à l’emplacement des ouvrages mais
non encore incorporés aux ouvrages devant être étayées par toute preuve que le Prodac peut raisonnablement demander pour en établir la valeur et attester leur livraison.

Tout ce dispositif d’encadrement prévu dans le contrat vise à renforcer la vigilance du maître d’ouvrage avant la validation des demandes de paiement. Toutefois, le dispositif mis en place au niveau du Prodac n’a jamais fait office de filtre parce que réduit à une simple courroie de transmission des demandes de paie‐ ment au financier sans contrôle préalable », dénonce l’Igf. Les vérificateurs révèlent ainsi que le Prodac a ainsi validé des demandes de paiement en faveur de Green jusqu’à hauteur de 5,9 milliards de Fcfa. Ce montant étant constitué des trois premières tranches de l’avance de démarrage et de la facture relative au 35 pour cent de Keur Momar Sarr. Le reli‐ quat constitué des autres de‐ mandes de paiement a été ensuite validé à hauteur de 6,8 milliards de Fcfa. A ce montant, s’ajoutent 5,3 milliards de Fcfa que constituent les factures en instance de paiement. En somme, «la légèreté dans la validation des demandes de paie‐ ment s’est traduite par l’absence de pièces justificatives valables sur la base desquelles s’opèrent les paiements.

Ainsi aucun attachement n’est joint aux demandes de paiement pour per‐ mettre au Prodac d’apprécier les prestations exécutées comme l’exige le contrat. Cette situation est d’autant plus inacceptable que même après le recrutement des bureaux de contrôle, le Prodac ne leur a toujours pas transmis les de‐ mandes de paiement pour vali‐ dation avant saisine du financier », fustige l’Igf. «A ce jour aucun décompte ou facture n’a été transmis à la mission de contrôle»
Effectivement, dans son rapport mensuel, le cabinet Soterco écrivait : «A ce jour aucun décompte ou facture n’a été transmis à la mission de contrôle. L’absence de la situa‐ tion des paiements pose un problème de visibilité sur le contrat; le bureau de contrôle n’est pas en mesure de faire une corrélation entre les tra‐ vaux effectués ou restant par rapport au décompte ». Le banditisme comme mode de gestion Plus grave encore, aucun cahier des charges n’a été élaboré. Ce qui est la porte ouverte à toutes les dérives.

Ce constat de la mission de contrôle de l’Igf est partagé par le cabinet Soterco qui y voyait d’ailleurs l’obstacle majeur par rapport à l’exécution de son rôle de supervision et de contrôle des tra‐ vaux sur les sites de Séfa et d’Itato. Ainsi, ce cabinet, dans son rapport en date de février 2018, a de nouveau signalé cette faille : «En l’absence de documents d’exécution et ou de programme de travaux le bureau de contrôle ne dispose ne dispose d’aucune visibilité sur les ouvrages. C’est pour‐ quoi l’appréciation du bureau de contrôle sur le niveau d’exé‐ cution est juste indicative. Elle ne traduit pas une acceptation des quantités ni de la qualité du fait de l’absence d’un cahier de charges constituant une réfé‐ rence vis à vis de la qualité des travaux ».
Indépendamment de ce document, l’Igf soutient que le bureau de contrôle n’a pas disposer du cahier des clauses administratives générales fixant les conditions administratives applicables, le cahier des clauses techniques générales fixant essentiellement les conditions et spécifications techniques applicables, le cahier des clauses administratives particulières et le cahier des clauses techniques particulières fixant les dispositions tech‐ niques particulières. Le plus cocasse, lorsque l’Igf, a fin de mission a demandé à Green 2000 des justificatifs des paiements, cette dernière leur a envoyé des documents en hé‐ breux alors que le contrat est bien en Français.

CMG