Le juge des flagrants délits du Tribunal de grande instance de Tambacounda a condamné Bougane Guèye Dany à deux mois avec sursis pour refus d’obtempérer, avant de le relaxer des délits de rébellion et d’outrage à agent dans l’exercice de ses fonctions. Ce verdict libère le leader de Gueum sa bopp et rabaisse la tension politique qui était vive depuis son arrestation.
Ce fut une longue journée. Mais, le juge des flagrants délits du Tribunal de grande instance de Tambacounda qui a été le point de convergence des populations locales et des autres régions de l’intérieur du pays, n’a pas prolongé le supplice de Bougane Guèye Dany. Après plusieurs heures de débats, il l’a finalement condamné à une peine de deux mois assortis de sursis et 100 mille F Cfa d’amende pour refus d’obtempérer. Evidemment, le soulagement se lit sur son visage. Et ses avocats esquissent des sourires du devoir accompli après que leur client a recouvré la liberté en dépit de sa condamnation.
8h 30mn ! La fourgonnette des gardes pénitentiaires débarque au Tribunal où un dispositif impressionnant est mis en place par les policiers. L’accès au lieu comme dans les environs est filtré. Des prévenus à l’intérieur du véhicule dont Bougane Guèye, y sont extraits puis envoyés au box des accusés. Il est vêtu d’un caftan gris-noir qu’il va changer plus tard à cause de la chaleur accablante dans la salle d’audience du Palais de justice de Tamba.
L’audience a démarré aux environs de 9h. Son dossier est évoqué 30 mn plus tard pour présentation, après le jugement d’un cas de vol de bétail. Bougane est appelé à la barre, accompagné de ses avocats. Visiblement exténué par l’épreuve, le visage pâle, mais très déterminé, il écoute le président lire les faits à lui reprochés. Trois chefs d’accusation : refus d’obtempérer, rébellion et outrage à agent dans l’exercice de ses fonctions. Reconnaissez-vous les faits, lui demande le juge. «Non», sert-il.
Le président commence par le refus d’obtempérer. Avez-vous refusé d’obéir aux ordres des gendarmes postés à Bondji ? Dans des vidéos devenues virales, Bougane avait martelé aux gendarmes : «Dites à vos chefs que Bougane sera à Bakel avant de continuer sa route.» Il a réitéré ces mêmes propos devant la barre, arguant que l’ordre était manifestement illégal. Raison pour laquelle il n’a pas daigné s’arrêter. Un gendarme, appelé à témoigner, a soutenu la même version : «Nous lui avons intimé l’ordre de s’arrêter et d’immobilier son véhicule. Ce qu’il ne fit pas, ajoute le pandore. Nous étions à 14 km de Bakel.»
Par contre, un barrage est posé sur la route au pont de Tourimé, situé à 7 km de Bakel. Avec un dispositif bien renforcé. Les véhicules sont immobilisés. «Je suis sorti de mon véhicule pour demander aux agents ce qui se passe, explique Bougane Guèye. Conscient que c’est mon cortège qui dérange, j’ai dit à mes camarades de marcher pour rallier Bakel et de laisser les véhicules. Les gendarmes nous ont opposé leur veto. C’est là que je leur ai dit, soit vous me laissez partir, soit vous m’arrêtez. Le Com mandant de l’Escadron de surveillance et d’intervention de Bakel m’a rétorqué : «Vous voulez être arrêté, je vous arrête.» J’ai été pendant 3 minutes malmené comme un punchingball.»
Sur la rébellion, il nie totalement les faits. «Moi qui ai demandé à être arrêté, comment pourrais-je me rebeller contre des agents. Si quelqu’un a été pris à partie, c’est plutôt moi», rétorque Bougane. Même rengaine pour le délit d’outrage à agent.
Les réquisitions du Parquet
Son récit est balayé par le Ministère public. Dans son réquisitoire d’une trentaine de minutes, le procureur de la République précise d’abord «qu’aucune infraction à caractère politique n’a été retenue contre le prévenu. Seules des infractions de droit commun sont retenues».
Sur le refus d’obtempérer, il explique le fait d’avoir refusé d’obéir à l’ordre des gendarmes : «Bougane n’a pas voulu s’arrêter à Bondji, au premier poste de contrôle. Pis, à Tourimé aussi, malgré le barrage établi, Bougane a essayé de forcer le passage. Ce qui l’a amené à se chamailler avec les gendarmes.» Ce qui est, à son avis, constitutif du délit de rébellion. Sur le délit d’outrage, le procureur reconnaît que c’est lui qui l’a ajouté aux deux délits initialement retenus. S’expliquant, il soutient : «le 1er outrage a été noté à Bondji. Le prévenu disait aux gendarmes : «Dites à vos chefs que Bougane sera à Bakel.» Il a cherché à les humilier, à les rabaisser. A Tourimé aussi, il a refusé de s’arrêter et s’est mis à se chamailler avec les gendarmes. Ces gestes et paroles sont constitutifs du délit d’outrage», tente de matérialiser le procureur.
C’est pourquoi il a conclu que les infractions retenues contre Bougane Guèye Dany sont établies et qu’aucun de ses droits n’a été violé. Par conséquent, il a requis une peine d’emprisonnement ferme de 3 mois, en plus d’une amende de 500 mille F Cfa.
Après ses réquisitions, la défense a balayé d’un revers de main les arguments du procureur. «Les faits qui justifient l’interpellation de Bougane Guèye Dany devant le Tribunal sont pourtant consacrées par la Constitution. Je défends aujourd’hui (hier) un individu arrêté à tort. Le droit de circuler librement est constitutionnel», plaide la robe noire. Les restrictions d’aller et de venir doivent être motivées et, en Droit, a-t-il insisté. C’est grave, dans un pays normal, de vouloir restreindre les libertés publiques. Les infractions retenues contre Bougane Guèye ne sont pas matériellement établies, enchaîne-t-il. «Nous ne vous demandons pas d’être bienveillant, mais juste de renvoyer des fins de la poursuite, Bougane Guèye Dany. Ce ne serait que justice. Car notre client a été arrêté dans l’exercice de l’un de ses droits les plus fondamentaux», poursuit l’un de ses conseils.
Me El Hadji Diouf est allé plus loin, en dénonçant une arrestation politique de Bougane. «C’est une arrestation politique basée sur du rien. Cette affaire ne méritait pas un procès. Aujourd’hui, Tambacounda fait l’actualité. Elle est devenue la capitale judiciaire du pays. Toutes les caméras sont braquées sur la ville, attendant la sage décision de votre Tribunal», expose Me Diouf. «Qu’il vous plaise de renvoyer Bougane Guèye des fins de la poursuite», demande-t-il.
Entendu ! Le Tribunal, dans son délibéré, a relaxé le prévenu des faits de rébellion et d’outrage à agent. Il l’a seulement reconnu coupable du délit de refus d’obtempérer à deux mois assortis de sursis et 100 mille francs d’amende à payer au Trésor public. Ce qui a soulagé ses nombreux partisans venus le soutenir à Tambacounda, comme les leaders de Samm sa kaddu et de l’opposition. Parmi eux, il y avait deux anciens ministres de la Justice, Sidiki Kaba et Amadou Sall. Ce dernier a même arboré sa robe pour le défendre.