Trump-Harris : et l’Afrique dans tout ça ?

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Alors que les derniers sondages cumulés placent l’ancien Président républicain Donald Trump et la vice-présidente démocrate Kamala Harris au coude-à-coude, l’élection présidentielle du 5 novembre prochain n’impactera pas seulement la vie des Américains. C’est le monde entier qui sera affecté par leur choix.

Le Moyen-Orient au cœur de la campagne
De manière surprenante et, contrairement aux habitudes, la politique étrangère aura occupé une place substantielle dans cette campagne. Qu’il s’agisse de la convention républicaine à Milwaukee en juillet et la convention démocrate de Chicago en août 2024, on a vu des vétérans venir à la tribune évoquer leur expérience en Afghanistan ou des familles d’otages israéliens évoquer le conflit à Gaza. A l’occasion des débats présidentiels, les candidats ont été interrogés sur l’Ukraine et Taiwan. C’est que, dans cette élection serrée, chaque voix compte. On a ainsi constaté l’importation du conflit israélo-palestinien dans le débat national, comme l’ont démontré les manifestations propalestiniennes dans les universités américaines ou encore l’influence de la candidate écologiste Jill Stein, partisane d’un arrêt des livraisons d’armes à Israël, dans les Etats-clés du Midwest tels que le Michigan qui compte 200 000 électeurs arabo-musulmans. Quand on se remémore qu’en 2016, Trump y avait devancé Clinton de 10 704 voix et que Stein, déjà candidate, avait rassemblé 51 463 voix, on peut imaginer à quel point Kamala Harris marche sur des œufs. Sans doute faut-il y voir la raison pour laquelle celle-ci se révèle plus sensible au sort des Palestiniens. Selon l’institut de sondage de Gallup, 44% des électeurs démocrates souhaitent la fin de la fourniture systématique d’armes à Israël, alors qu’ils ne sont que 25% à y être encore favorables.

Kiev en arrière-plan
La guerre en Ukraine continue aussi de polariser les débats nationaux en raison de la volonté de Donald Trump d’y mettre fin, y compris par la reddition de Kiev. Alors qu’un nouveau livre de Bob Woodward, le journaliste qui avait révélé le scandale du Watergate, vient de mettre en évidence les liens secrets entre l’ancien Président et Vladimir Poutine, cette drôle de paix porterait un coup sérieux à l’alliance transatlantique pour laquelle Trump exige des Européens de payer plus. Lors d’un meeting électoral en février 2024 en Caroline du Sud, il avait dit : «Vous n’avez pas payé ? Vous êtes de mauvais payeurs ? (…) Non, je ne vous protégerai pas. En fait, j’encouragerai [les Russes] à faire ce que bon leur semble.» Cette position est, bien entendu, à rebours de celle de Kamala Harris, un soutien indéfectible de l’Europe et de l’Otan, dans la droite ligne de la politique suivie par Biden. Les Etats-Unis ont, sous administration démocrate, déjà dépensé 120 milliards de dollars de soutien militaire à l’Ukraine.

La menace chinoise comme priorité
Même les sujets domestiques ont une composante internationale forte.
L’économie, qui apparaît ainsi comme l’un des sujets dominants de la campagne électorale, est rarement abordée par les candidats sans que la Chine ne soit mentionnée. Ainsi, en mai dernier, l’administration démocrate a quadruplé les droits de douanes sur les véhicules électriques chinois. Grâce à 2000 milliards de dollars d’investissements massifs dans la transition verte et les technologies, les régions de la ceinture de la rouille, là où précisément se trouvent les Etats-clés, sont en voie de réindustrialisation. L’Amérique veut aussi reprendre le contrôle des chaînes d’approvisionnement dont la pandémie avait révélé la vulnérabilité : c’est une question de sécurité nationale. Mais parce que c’est aussi une question de paix civile, il s’agit désormais de «mettre la politique étrangère au service de la classe moyenne», selon l’expression de Jack Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale de Joe Biden, en avril 2023. Renchérissant, Donald Trump, qui continue de dénoncer l’inflation pourtant largement contenue, entend y remédier en promettant de taxer tous les produits importés, y compris d’Europe.

Afrique, une absence en trompe-l’œil
Autre sujet de campagne à l’avantage de Donald Trump, selon les Américains interrogés dans les sondages, l’immigration. Sur ce sujet, l’ancien Président n’a cessé de durcir ses positions, appelant à une «déportation de masse» des 11 millions d’«illégaux» présents dans le pays et qui «souillent le sang des Américains».

La question migratoire est ainsi fortement indexée sur les relations avec les pays d’origine, le Mexique, le Guatemala, le Venezuela, mais également la Chine et les pays africains. L’ancien Président Trump a pu ainsi faussement accuser «le Congo», sans qu’on sache lequel de Kinshasa ou Brazzaville, de vider ses prisons et d’envoyer des criminels violents aux Etats-Unis.

L’Afrique. Naturellement absente de la campagne tant elle semble éloignée des préoccupations des électeurs comme des candidats, elle n’a pas encore eu l’opportunité d’accueillir les deux derniers présidents américains. Donald Trump ne lui a jamais manifesté le moindre intérêt malgré quelques initiatives commerciales telles que Prosper Africa. Joe Biden promet de visiter l’Angola avant la fin de l’année. Même si Kamala Harris a accueilli à la Maison Blanche des dirigeants africains comme le Zambien Hichilema en septembre 2021 ou la Tanzanienne Hassan en avril 2022, et visité le Ghana, la Zambie et la Tanzanie en mars 2023, son programme pour l’Afrique demeure inconnu à ce jour. Sous la Présidence Biden, on l’avait entendue vanter la démocratie et l’innovation, exprimant le souhait d’une politique «avec», et non simplement «pour» l’Afrique. Fille d’un Jamaïcain et d’une Indienne, elle peut incarner un rapport plus émotionnel au continent, que tant d’Africains attendaient de Barack Obama d’ascendance kenyane. «En raison de cette histoire, l’Afrique revêt une signification particulière pour moi, en tant que première vice-présidente noire des Etats-Unis d’Amérique», avait-elle confié lors de sa visite à Accra.

A Washington, au-delà des appétences personnelles, c’est surtout l’urgence de limiter l’influence chinoise et russe en Afrique qui est le moteur principal des deux équipes de campagne. Vraisemblablement, l’accès aux minerais stratégiques occupera l’agenda du prochain Président américain, qu’il soit démocrate ou républicain, en raison de la nécessité de reprendre le contrôle sur les chaînes d’approvisionnement, d’accélérer la transition énergétique et de gagner la course à l’innovation technologique. Et l’Afrique est un acteur-clé de cette impitoyable compétition.
RAMA YADE – Directrice Afrique Atlantic Council