L’étudiant de l’Université Gaston Berger de Saint‐Louis, retrouvé pendu dans sa chambre, avait programmé sur sa page Facebook une lettre ;
quand vous lirez ce texte. J’ai décidé de mourir dans la dignité plutôt que de vivre dans la mort et le déshonneur ». C’est par ces mots que Matar Diagne a dé‐ buté sa lettre publiée hier sur sa page Facebook, 24 heures après la découverte de son corps sans vie. Les premiers constats effec‐ tués par les gendarmes attes‐ taient déjà que l’étudiant retrouvé pendant dans sa cham‐ bre dans la nuit 10 février s’était suicidé. Dans sa lettre pos‐ thume, il a tenté d’en donner les
raison.
«En 2020, j’ai obtenu mon bacca‐ lauréat en étant premier du centre, mais quelques mois plus tôt, une grave maladie m’a atteint et elle persiste jusqu’à maintenant. J’ai toujours été une personne réservée dont l’intégration était quelque peu pénible. Pendant cette période, j’avais commencé à m’intégrer socialement, mais à cause de la maladie, j’ai recommencé à m’isoler. Malgré tout, j’ai décidé d’aller à l’université et de poursuivre mes études, et là, je vis entre l’Ufr et ma chambre. Mais certaines personnes ne voient pas cela d’un bon œil. « Ki dafa bonn, dou dem thi nitt yi. Beugoul nitt yi», disent‐ils. Cela m’a davantage isolé. Pourtant, il aurait été facile pour eux de comprendre que c’est ma situa‐ tion qui me pousse à m’isoler. Certaines personnes sont très in‐ telligentes, mais elles peuvent se révéler être des cons quand il s’agit de comprendre la situation de leurs semblables », écrit‐il.
«Certaines personnes sont très intelligentes, mais elles peuvent se révéler être des cons… »
«L’isolement, additionné à la souffrance de la maladie, a eu des conséquences néfastes sur moi. Je ressens une tristesse in‐ tense. Il y a une tempête dans mon cœur. La fois où j’ai eu à me confesser, mes confessions ont été exposées en public. La conséquence en est que je me méfie, je n’ose même pas en parler avec des amis. Face à cette situation, je me muets dans mon silence, comme je sais si bien le faire depuis que je fus enfant. Et ce qui est triste, c’est qu’il y a des personnes qui s’adonnent aux moqueries avec joie, sans mesurer les conséquences de leurs actes. Peut‐être que ma mort ouvrira les yeux à certains étudiants et certaines familles. N’isolez per‐ sonne, n’ignorez personne, ne vous moquez de personne et ne fuyez personne », a‐t‐il ajouté.
«La fois où j’ai eu à me confes‐ ser, mes confessions ont été exposées en public »
Non sans poursuivre : «Rappro‐ chez‐vous des gens qui s’isolent, parlez leur et essayez de les comprendre, sans les juger. Boulene bayi ken mouy wét ak ay problemame. Boulène khébale kéne problémame. Cet acte, je l’ai fait en quelque sorte en guise de sacrifice pour que géne bayi xell les autres qui ont des soucis. Ne jugez jamais avant de connaître toute l’his‐ toire. Par ailleurs, ce qui m’a le plus déchiré, ce sont les conjectures sur ma maladie, les calomnies et les accusations non fondées. Je ne vais pas les énoncer ici, car je pense que je suis plus grand que cela. C’est une situation qui m’a profondé‐ ment détruit. Je ne vais citer personne, car je ne veux que personne soit pris pour cible. Fi‐ nalement, je me sens oppressé. Cette pression s’est entrelacée à celle de ma maladie, et elles me sont insupportables et m’affligent le cœur. La maladie seule aurait été très douce pour moi, mais les mauvaises choses qui circulent sur moi, et que je nie jusqu’à la dernière énergie, me sont létifère. Ces bobards ont fait de moi une autre per‐ sonne. Quand des gens qui ne vous connaissent pas vous haïs‐ sent, alors sachez que ce sont certainement vos détracteurs
qui sont passés par là pour vous salir. J’espère que ceux qui ont fait cela auront la conscience tranquille. Le plus triste, c’est que ce seront ces mêmes per‐ sonnes qui seront les premières à faire de bons témoignages sur moi ».
Le défunt étudiant de la promotion 31 de l’Ufr Sciences juridiques et politiques de continuer : «La douleur phy‐ sique, ce n’est rien. Mais celle du cœur est infernale. Goor momoul yénn yi. Je suis une per‐ sonne très digne, et j’ai un très grand sens de l’honneur. Il m’est préférable de mourir dans l’honneur que de vivre dans le déshonneur. Je demande pardon à mon père et à ma mère. Je vous aime tous les deux. Je vous aime de tout mon cœur, de toute mon âme. Ne m’oubliez jamais dans vos prières. Papa khamnani dinala bétt ndakh je t’ai toujours montré mon côté guerrier, je ne t’ai jamais montré mes faiblesses. Je t’aime beaucoup, et ne m’en veux pas pour ça. Balma ak. Si j’ai tenu jusqu’ici, c’est pour ma mère. Sama yaye rek la khamoul nouma kay def. Depuis 2011, elle est paralysée par un Avc. Mais à quoi lui servirais‐je étant ainsi malade, délabré et rompu ? Je refuse d’être une charge supplémentaire. Yaye khamnani dina tass sa yakar, wayé dénke nala Yallah. Dénke nala Yallah ».
«Je refuse d’être une charge supplémentaire »
«Je demande pardon à ma grand‐mère. Elle a toujours cru en moi, et je suis désolé d’avoir brisé sa confiance et ses espé‐ rances. Elle a toujours voulu que je devienne « Président de la République ». Toutes ses prières pour moi allaient dans ce sens, et c’est elle qui a financé mes études jusqu’à la terminale. J’ai toujours étudié avec hargne pour réaliser son souhait, car c’était aussi ce que je voulais devenir. Mame balma. Je demande pardon à mes amis dont je vais abréger les noms : PMN, ABF, NMD et MDD. Neubeu nalène samay problèmes ba dém. Balelène ma ak. Vous avez toujours été là pour moi. Votre gentillesse m’a profondément marqué. Vous êtes de bonnes personnes et de bons amis. Ne pleurez pas ma mort. Nianal lénema. Je de‐ mande pardon à mes frères et sœurs. Je sais que vous m’ai‐ mez beaucoup, mais sachez que je vous aime autant. Gran‐
dissez en âge et en sagesse, et profitez de la vie, et respectez les parents. Ma sœur, mon amie, BB Khady, je te confie ma mère. Je demande pardon à toute la communauté estudian‐ tine, aux Sénégalais et aux gens de ma religion.
«J’ai terminé mon roman… »
J’ai terminé mon roman intitulé «la fuite des indésirables», il parle de l’émigration clandes‐ tine. Je l’ai envoyé à la maison d’édition Harmattan‐Sénégal avec mon adresse mail papma‐ tar8@gmail.com. Aidez‐moi à le publier, c’est sans doute la seule trace que je laisserai sur terre. Je souhaite que les re‐ tombées de ce livre, même si c’est un seul exemplaire vendu, soient dédiées à la prise en charge de l’Avc de ma mère. J’ai écrit ce texte pour anticiper les propos de ceux qui tenteront de salir ma mémoire. Je ne suis pas une personne parfaite, et je commets des erreurs comme tout le monde. Mais toute ma vie durant, j’ai fait de telle sorte à ne pas nuire mes semblables, et s’il arrive que je le fasse, cer‐ tainement, je le jure, ce n’est pas intentionnel. Je me suis toujours gardé de dire du mal
des autres. J’ai fait de telle sorte à respecter les préceptes de ma religion, et à réserver une bonne partie de ma vie à l’adoration d’Allah. Toutefois, les personnes comme moi, je le pense bien, qui sont incapables de faire du mal aux autres, qui aiment le juste et qui sont véri‐ diques, n’ont pas leur place dans ce monde, car ce sont toujours ces mêmes personnes qui, aux yeux des autres, sont les monstres. Je veux mourir en paix, sans haine. Donc, je pardonne à tout le monde, ceux qui m’ont blessé, consciemment ou inconsciemment. Et je demande pardon à toutes les personnes que j’ai eu à causer du tort. La meilleure manière de m’aider maintenant, c’est de prier pour moi. Ne faites pas de deuil, juste priez pour moi. J’aimerais être enterré à Médinatoul Dieylani, s’il y a des cimetières là‐bas. Si ce n’est pas le cas, alors je laisse mon père choisir le lieu de mon enterrement. Creusez, pour moi, une tombe profonde. Qu’Allah me pardonne ! Ne jugez pas mon acte. Laissez Allah en disposer, car Allah est miséricordieux ! ».