Les manifestations au Bangladesh, organisées depuis juillet au départ par des étudiants qui voulaient dénoncer les règles d’embauche dans l’administration et violemment réprimées, ont provoqué lundi 5 août le renversement de la Première ministre Sheikh Hasina. Elle était au pouvoir depuis 15 ans, fille du premier président du Bangladesh. Son palais a été pris d’assaut par les manifestants ce lundi. Quelques minutes avant, la cheffe du gouvernement a quitté Dacca, la capitale, par hélicoptère. Le chef de l’armée explique qu’elle a démissionné et qu’il va former un gouvernement intérimaire. Décryptage de la situation avec Jean-Luc Racine, directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste de l’Asie du Sud.
Que se passe-t-il au Bangladesh ? On va essayer de comprendre ce qu’il se joue en ce moment au Bangladesh avec vous Jean-Luc Racine. Il s’agit là de la conclusion d’un mouvement de colère. Comment en est-on arrivé là ?
Jean-Luc Racine : Il faut évidemment d’abord rappeler le pourquoi de cette crise politique. C’est lié à des principes communs à de multiples pays d’Asie du Sud et au Bangladesh, à savoir la réservation d’emplois publics. Mais le cas particulier du Bangladesh, c’est que, traditionnellement, il y a, depuis les lendemains de l’indépendance, en 1971, 30 % de positions dans le secteur public qui sont réservées à des descendants des combattants pour la liberté, c’est-à-dire des citoyens pakistanais au départ, qui se sont révoltés contre le Pakistan et qui ont mené le Bangladesh à l’indépendance.
Les vétérans de l’indépendance…
On pouvait comprendre cela au départ, quand il s’agissait des combattants eux-mêmes, mais maintenant, il s’agit de leurs enfants, voire de leurs petits-enfants. Et dans un contexte où l’accès à l’emploi est une question majeure pour beaucoup de jeunes dans un pays qui est jeune – il y a 175 millions d’habitants, ou presque, au Bangladesh –, cette question est devenue extrêmement sensible. Donc depuis plus d’un mois, un mouvement étudiant s’est cristallisé pour demander l’abolition de ce quota qui avait été supprimé, puis remis en place. La Cour suprême s’est prononcée contre ce quota, mais les manifestations, qui sont devenues très meurtrières puisqu’on n’est pas loin de 300 morts en quelques jours, ont conduit à une crise majeure, avec le départ un peu inattendu, quand même, de Sheikh Hasina, la Première ministre depuis quinze ans.